vendredi, mai 20, 2011

Documentaire: les réfugiés nord-coréens en Chine

Jim Butterworth et l'univers (censuré) des Nord-Coréens
La Corée du Nord m’a toujours mystifié. J’avais un professeur à McGill, Sam Noumoff, qui demeure toujours un fidèle défenseur du régime. Le sort des réfugiés nord-coréens en Chine populaire me mystifie aussi. J’ai visité il y a longtemps une famille coréenne dans la province chinoise du Jilin.

Un soir, à CBC/Radio-Canada, j’aperçois un certain Jim Butterworth en train de parler de ce pays hermétique. Avec le nom «Denver» à l’écran.

«Je suis superoccupé. En plein montage. Sous pression», me répond Jim Butterworth de Boulder, au Colorado. Je me trouve à Denver et j’insiste pour le rencontrer «pas plus de 60 minutes. Promis!» Une journaliste coréenne de Denver, KIM Myung Oak, qui n’a jamais entendu parler de lui ni de son documentaire est très intéressée venir le rencontrer avec moi.

Quelques jours plus tard, au très chic hôtel St. Julien, rue Walnut, Jim Butterworth fait son apparition. Pas rasé, casquette de baseball, chemise rose à carreaux, il enlève ses lunettes soleil et se met à table avec le sourire.

Le film a marqué son homme

Bien que toute son histoire du tournage d’un excellent documentaire ait commencé en 2003, il la raconte comme si c’était la veille. Pas de trous de mémoire. Le triste problème l’a visiblement marqué. Réalisant qu’il parle à deux personnes qui connaissent le sujet, il va encore plus dans les détails.

«En 2003, je vais à une conférence d’un gars du New York Times, Timothy Brook, sur les Nord-Coréens se trouvant au pays de Mao. Je lui dis qu’il va certainement en faire un bon papier. Il répond par la négative. Le New York Times ne prêche-t-l pas par la devise All the news fit to print? Étonné et déçu, le natif de la Caroline du Nord décide de filmer sur cette tragédie sans trop savoir dans quelle jonque il s’embarque. (En 1998, Brook a écrit Quelling the People sur le massacre de la place Tiananmen)

Jim contacte une personne ressource en Corée du Sud qui se démarque par son mutisme total. Au téléphone, il jette sèchement : «Ne m’écrivez plus! Ne téléphonez plus jamais! Clic du combiné.» Quelque temps plus tard, le récalcitrant change d’idée et il deviendra l’excellent «fixer», le principal organisateur du documentariste expérimenté. Très bon interprète. Les deux hommes se rencontrent à Inchon (ville du célèbre débarquement du général Macarthur de 1950).

Il y a longtemps que j’ai vu son Seoul Train (2004), trop longtemps pour en demander des détails. Pas d’enregistrement maison. Je laisse notre invité (qui refuse de boire la moindre goutte de café) poursuivre sa narration animée. Kim Myung Oak boit ses paroles et moi aussi. Le gars nous parle comme à de vieux amis. «Vous allez écrire sur ça?»

Le tournage s’est fait avec une petite Sony numérique afin de ne pas alerter la police de la province du Jilin et de la ville de Shenyang. Les organisations bouddhistes et les Églises collaborent à l’«underground railway», la filière des passeurs. Tout en distribuant leurs bibles pour ces derniers.

Des femmes à risques

Les Nord-Coréens sont classés simples migrants économiques. Ce statut précaire les prive de beaucoup de protection. Une simple dénonciation de la part d’un Chinois risque de les envoyer de l’autre côté du Yalu dans un camp de concentration de Kim Jong-il -- si ce n’est la peine capitale. Les nombreuses femmes sont les plus vulnérables. Les plus jeunes deviennent les enfants de la rue comme on en voit dans les pays les plus pauvres. Jim ne sait pas combien ils sont en tout dans la terre chinoise. Les estimations varient de 200 000 à 300 000 fugitifs.

Le directeur de Naked Edge Films (au CV impressionnant, y compris un MBA) rappelle toutefois des cas heureux où, par exemple, une Nord-Coréenne est mariée avec un Chinois qui fait preuve de beaucoup de générosité avec les enfants. Il faut voir Seoul Train pour mieux comprendre les bons et les mauvais cas. Je n’insiste pas ici. (Plutôt voir : www.seoultrain.com)

Une fois sortis du paradis du «Dirigeant bien-aimé», où aboutissent ses infidèles sujets? En Asie du Sud-est ou en transit en Mongolie pour aboutir en petit nombre vers la Corée du Sud où ils se retrouvent comme de simples «étrangers» à cause d’une culture totalement différente, y compris la langue. Le choc culturel! Ils y seraient 20 000. Et pour Jim Butterworth et sa collègue Lisa Sleeth (présente à Boulder aussi, mais débordée de travail), une fois les images tournées, comment les faire sortir en douce de Chine?

Sur ce point, entre journalistes, nous sympathisons facilement. Kim Myung Oak a été reporter au défunt Rocky Mountain News jusqu’à sa fermeture définitive le 27 février 2009. Par déformation, Myung garde un bon esprit critique sur tout. Elle aimerait bien faire du travail social pour aider ses compatriotes du Nord aux Etats-Unis, mais ils sont là en nombre infime. Pas une job à plein temps. Son occupation à plein temps ce sont plutôt ses trois magnifiques enfants qui nous accompagnent sagement en voiture vers la charmante agglomération montagneuse de Boulder. Le père a été journaliste dans les meilleures publications et il se spécialise maintenant dans des questions d’énergie et d’environnement. Un crac! Nous cassons la croute tous ensemble dans son bureau situé non loin du célèbre pavillon de thé Dushanbe (Tadjikistan).

Des réticences de la télé

L’autre partie de l’histoire de Seoul Train m’étonne beaucoup. Son docu. De 55 minutes connaît un vif succès. Diffusé dans tous les meilleurs festivals. Plusieurs prix. Traduit en 20 langues. Nicholas Kristoff du New York Times et Anderson Cooper de CNN l’ont interviewé. «Le patron de la NBC, rien de moins, est venu à une projection et il m’a dit qu’il a trouvé le film poignant (powerful). J’ai donc enchaîné en lui demandant s’il allait le diffuser sur son réseau. Non, m’a-t-il répondu : sujet trop délicat!»

Pourquoi tant de réticence vis-à-vis d’un État sans réticence? JB n’élabore pas beaucoup. Le State Department veut-il ménager la chèvre et le kimchi en Chine populaire ou en Corée du Nord? Que fait le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés dans ce dossier -- «dont 60% des fonds sont américains»? Les accords de 1967 et de 1993? Bizarre!

J’avais promis à JB de le «libérer au bout de seulement 60 minutes». Nous sommes encore à table après 90 minutes. Il a certainement oublié l’heure et son montage. A-t-il la gorge sèche? «Vous avez déjà une photo de moi prise à l’écran de télé? C’est la bonne.» Et il sort du St. Julien d’un pas alerte.

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