mardi, mars 22, 2011

Chang-Rae Lee: l'auteur coréen-américain à succès rencontre un groupe de ses lecteurs à Denver

Quel plaisir que de pouvoir rencontrer en chair et en os un auteur à succès avant même de se plonger dans ses œuvres. C’est ce qui m’est arrivé à Denver lorsque j’ai pu bavarder avec Chang-Rae LEE et écouter à son exposé. Maintenant professeur de création littéraire à la prestigieuse université Princeton, il a gagné plusieurs prix dès ses premiers romans. Il y a longtemps que j’en avais entendu parler.

À la conviviale librairie Tattered Cover (une institution très locale de 30 ans au nom étrange) de la longue rue Colfax, le professeur dans la mi-quarantaine se présente à nous en tenue décontractée. Veste noire d’artiste et jeans. Grande taille. Début de cheveux gris. L’allure d’un acteur de cinéma. Par ailleurs, très accessible, poli, souriant et désireux d’échanger. Dans le sous-sol, nous ne sommes qu’une vingtaine d’intéressés à être venus écouter l’Américain d’origine coréenne. Pas de journaliste du Denver Post.

La guerre de Corée

Le professeur Lee commence par nous lire deux pages de son dernier roman que je viens juste d’acheter pour le faire autographier. Dans The Surrendered (2010), il est question d’une jeune réfugiée de 11 ans qui voyage clandestinement sur le toit d’un train en direction de Pusan. Une scène de la guerre de Corée. Son pays d’origine où il est né en 1965, trois ans avant que sa famille immigre en Amérique. Il y a là des souvenirs de ce que son père lui a raconté. «Il a voyagé sur le toit des wagons», explique-t-il en aparté. Son paternel -- toujours vivant -- n’en a toutefois pas beaucoup raconté et il a dû «inventer».

Dans son exposé, il complimente ses étudiants de Princeton avec qui il travaille dans des classes de seulement dix personnes : «très intelligents, très sérieux». Pas nécessairement de futurs écrivains. Chang-Rae Lee semble vraiment aimer son métier. «Nous sommes des écrivains de la pratique (working writers)», lance-t-il avec sa voix haute en prenant une autre gorgée d’eau minérale. De mon siège au premier rang, je note ses mains fines d’intellectuel.

À mesure que la soirée avance, nous glissons vers le sujet de son identité. Coréen-Américain? «Je ne suis coréen que de sang», affirme le résidant du New Jersey avec raison. Comment s’affirmer coréen alors qu’il a quitté l’Asie à l’âge de trois ans? Pourtant, il écrit sur thèmes reliés à ses origines. Je lui demande s’il parle coréen à ses deux filles. «Non, mon coréen n’est pas assez bon pour ça!» me réplique-t-il sur un ton de regret. Je lui parle de l’expérience multilingue dans notre famille. Quand je lui dis que ma femme parle cantonais avec nos deux filles et que mes filles ne parlent que français avec leurs enfants aux États-Unis, il acquiesce avec spontanéité. Avec force même. «Oui, parlez-leur toujours en français!»

The Native Speaker

Quelques Asiatiques font partie de la vingtaine d’admirateurs. Difficile de dire s’ils sont coréens ou non. Chang-Rae Lee leur explique qu’il n’est pas toujours compris des Américains d’origine asiatique comme lui. L’identité profonde! Voilà d’ailleurs un thème qui le fascine. C’est justement ce que j’essaie de comprendre dans le premier livre que je lis de lui. La veille, je me suis procuré son roman Native Speaker (1995) dans mon quartier de Denver. La libraire Lois (prononcer Lewis) de West Side m’en a très vite trouvé une copie d’occasion. Native Speaker c’est l’histoire de l’immigrant Henry Park, marié puis divorcé d’une Américaine appelée Lelia. Le jeune immigrant asiatique me fait penser à l’écrivain. Les parents d’Henry Park vivent la vie difficile d’immigrants commerçants. Le choc des cultures!

Trop tôt encore pour me faire une idée définitive sur l’œuvre – quatre romans en quinze ans – et de son auteur. Je procède à reculons en entrevoyant l’homme avant de le lire complètement. Bref, une affaire intéressante à suivre.

Avant de quitter la Tattered (qui fait dans le vieux avec ses planchers de bois), je pense à demander si Lee connaît le Québécois d’origine coréenne qui s’est fait, lui aussi, un nom dans la vie littéraire de son pays d’adoption. J’entrevois un parallèle entre les deux créateurs littéraires. Réponse négative. Lee n’a pas entendu parler de Ook Chung. En tout cas, c’est ce qu’il me dit. J’ai interviewé ce dernier pour La Presse en 2003. Ook Chung est né à Yokohama au Japon de parents coréens en 1963 et la famille s’est installée ensuite au Canada alors qu’il n’avait que deux ans. Je l’avais rencontré à la Petite Ardoise, rue Laurier, pour une entrevue. Faudra que je reparle à cet écrivain un de ces jours.

Voilà donc quelques modestes impressions sur un Coréen du New Jersey et un autre de Montréal quasiment du même âge. Dans ce modeste blogue, je parlerai un autre jour des réfugiés nord-coréens vivant en Chine populaire. Du point de vue du documentariste américain Jim Butterworth avec l’aide d’une Coréenne-Américaine vivant au Colorado, KIM Myung Oak, qui m’a aidé à obtenir cette autre fascinante entrevue à Boulder.

Rencontre à Boulder avec le Dr Charles Pellerin : astrophysicien de la NASA à la sensibilité nippone

Non loin de Denver, dans la ville montagneuse de Boulder, j’ai eu le grand plaisir de luncher avec un «cerveau» de la NASA. Une rencontre exceptionnelle! Des plus sympathiques, en plus. Charles Pellerin (descendant d’Acadiens installés en Louisiane dont le père parlait encore notre langue) a acquis la notoriété en développant la méthode dite 4-D dans son travail pour la Nasa. Le fameux télescope spatial Hubble (voir le documentaire Imax) a été mis sur orbite malgré une erreur de fabrication grave -- due à une erreur de relations humaines. Il a été appelé à la rescousse.

Charles Pellerin a trouvé la faille et s’est rendu compte qu’il s’agissait plus exactement d’un problème de travail d’équipe (team work). Mauvaises relations et mauvaise communication chez les responsables de différentes expertises du projet très coûteux. Cette méthode constitue le sujet d’un livre et la méthode est enseignée par des formateurs un peu partout dans le monde.

Anne Choquette à Montréal

J’ai pris connaissance de cette approche en donnant moi-même une formation à une formatrice professionnelle qui s’est rendue à Pékin puis à Hong Kong pour l’enseigner. J’avais entre autres comme mandat de trouver des liens culturels entre la méthode américaine et la culture chinoise. Madame Anne Choquette s’est très bien acquittée de sa mission et je tenais à rencontrer en personne le penseur des 4-D pendant mon séjour au Colorado.

Je ne m’attache ici qu’à l’aspect interculturel de mes rapports avec Charles Pellerin. (Je n’ai pas encore revu Anne Choquette à Montréal). Quel genre d’homme? Cet astrophysicien à la retraite aurait pu parler des langues étrangères comme le français ou le japonais. Avoir une pile de cartes d’affaires bilingues dans sa poche. Ou arriver tiré à quatre épingles. Rien de ça, mais d’autres bonnes qualités.

D’abord, à cause de la neige tombant sur Boulder, d’un feu de boisé à proximité et du terrible tsunami au Japon, nous avons dû échanger moult courriels pour retarder notre rendez-vous. De sa part, toujours des réponses à la vitesse de l’éclair et une si grande courtoisie que ce fut suffisant pour casser la glace entre nous -- avant même le face à face.

Décor du Tajikistan

Pour l’occasion, j’avais choisi le salon de thé Dushanbe, (plutôt un restaurant dans le genre de l’excellent Rumi à Montréal). Un endroit unique résultant du jumelage entre Boulder et la capitale du Tajikistan, ce qui faisait déjà exotique. Ce dimanche ensoleillé, il fallait attendre à l’extérieur pour que notre table se libère. Charles Pellerin est arrivé avec son livre, How NASA Builds Teams (Wiley 2009) et un Kindle sous le bras. L’importance donc de la simple conversation de préambule. Le chit chat.

Charlie (comme il se fait appeler) est né et a vécu à Okinawa. Il a collaboré au jumelage de Boulder avec la ville de Yamagata et en passant par l’Université Harvard, il a beaucoup fait affaires avec des partenaires japonais. De surplus, le point amusant c’est qu’il s’est remarié avec Junko-san, une femme de cette ville, sorte de coup de foudre sur le tard entre deux inconnus. «Je ne parle que le japonais de sushi», se moque-t-il de lui même. Ce dimanche-là, 48 heures après la catastrophe de Sendai, inutile de dire que le couple était très inquiet au sujet de la parenté vivant au Japon.

Communications difficiles ou inexistantes. Dans une partie de son courriel : «We were on the phone with Junko's sister last night when the quake hit. She reported that the house was shaking badly, then we lost all communications for several hours. Current status: house - everything tumbled onto the floor and no electricity, water or gas. – People - Takeya (18 years) was on the train when it hit and we have no details about how he managed to get home. (…) As if this wasn't enough, a forest fire is now burning a mile away from our house [in Boulder] with strong winds!

Heureusement, ma fille et mon gendre étaient de la partie au Dushanbe. De la valeur ajoutée à la réunion. Ce dernier comprend très bien les préoccupations et les expériences professionnelles de Charles Pellerin. La présence de mes deux petits-enfants à table aurait pu faire dérailler nos échanges, mais ceux-ci ont été quand même assez sages. «J’ai deux petits-enfants moi aussi», d’expliquer le sexagénaire de Boulder sans trop leur porter attention.

Dédicace respectueuse

Mon gendre portait une casquette de joueur de baseball sur la tête pendant le repas, mais aucun accroc là non plus au protocole. Nous sommes au pays de l’Oncle Sam où le code vestimentaire s’avère secondaire. Rien pour me distraire de la délicieuse crêpe à l’indienne (masala dosa) que j’espère retrouver plus tard à Montréal. Avec gâteau perse au chocolat épicé. Tisane au parfum de bleuet. Le Tajikistan se trouve au centre de plusieurs influences sur la route de la Soie. La clientèle cosmopolite de ce dimanche de mars reflétait assez bien cette région du monde. (www.boulderteahouse.com)

J’ai naturellement étudié la bible de Charlie quelques semaines plus tôt. Autre signe de gentillesse, il nous en fait cadeau avec dédicace à mon nom. En ouvrant son How NASA Builds Teams: Mission Critical Soft Skills for Scientists, Engineers, and Project Teams, je lis avec une certaine stupéfaction: «For Jules, with respect!» C’est plutôt moi qui ressens du respect pour cet homme de science. Il a travaillé sur plusieurs projets de plusieurs millions de dollars chacun. Chapeau! Une partie dans la jungle de Washington et ailleurs dans le monde. Mon gendre aussi ressent du respect pour ce monsieur aux cheveux blancs.

Charles Pellerin doit partir en voyage 48 heures plus tard pour le pays de Marco Polo puis la Chine. Encore Pékin et Hong Kong avec des «attentes importantes», me confie-t-il. Son horaire est surchargé. J’essaie de ne pas le retenir trop longtemps. «C’est pas grave», répond-il à deux reprises en souriant aux deux bambins. Il me semble que ça clique entre nous tous, mais j’en attends la confirmation. En nous quittant, il me remercie d‘avoir piloté cette réunion si souvent retardée. Je décide de le raccompagner pas à pas vers le stationnement et il apprécie le geste : «Ici, quand on dit au revoir, on claque aussitôt la porte. Au Japon, on envoie longuement la main à ceux qui partent. C’est ce que fait ma femme Junko quand je quitte.»

À peine rentrés à Denver, quelques heures plus tard (après avoir flâné sur la rue piétonnière Pearl), je lis le message suivant de Charlie: «Actually, for me, it was a wondrous day -- I am filled with hopeful expectations of a new journey unfolding! Thank you (end).» Je me rends compte, à ce point-là, que lui et mon gendre se sont promis d’explorer certaines pistes de travail, mais la vitesse des courriels du spécialiste de la NASA nous étonne. Anne Choquette est déjà au courant du ton positif de la rencontre. Bref, les éléments interculturels n’ont pas toujours préséance sur le contenu d’une relation, mais avouons que ça aide beaucoup. Tellement plus sympa de faire affaires avec des gens de grande sensibilité!

lundi, mars 21, 2011

À Denver : 1 école, 4 langues (dont le chinois)


Dans ma démarche interculturelle aux États-Unis, la visite d’une école primaire multilingue très bien cotée a été un moment fort digne de mention. Nous avons passé quelques heures dans une institution où sont enseignées quatre langues : anglais, français, espagnol et chinois. Le nom de l’école : Denver Montclair International School (DMIS). Avec ma fille aînée, c’était une autre visite de reconnaissance afin de préparer l’inscription de ma petite fille. Dans le premier cas, ce fut une école Montessori dont je garde une très bonne impression. Dans le second cas, l’accent est mis sur les langues et l’«éducation multiculturelle».

Plutôt amusant, nous avons été reçus par la responsable des communications portant le nom très québécois de Paquette. L’épouse d’un Canadien originaire de Windsor puis de Detroit qui n’a toutefois jamais voyagé chez nous. Accompagnée d’une autre jeune femme, Mieke Bushhouse (Michigan), l’accueil est très chaleureux et on nous accorde un maximum de temps.

Shanghaiennes et Taiwanaises

Nous nous concentrons sur les classes de chinois. Dans un premier local, Mme Zhu Huizhu s’occupe d’un nombre très limité de marmots: à peine une demi-douzaine. Un petit blond qui n’a rien du pays de Confucius va en avant de la classe et à l’aide d’une longue règle, il nous lit plusieurs phrases écrites en caractères. Dix sur dix! Belle prestation! Je lui tends la main droite pour le féliciter à l’ancienne et il me répond à la moderne par un vigoureux high five sonore. Clac! Nos deux responsables éclatent de rire devant l’amusant et apparent conflit des générations. Sur les murs, plusieurs affiches en caractères (mais pas des dazibao). «Ils connaissant tous le pinyin», précise la patiente dame shanghaienne en parlant de ses élèves qui sont tous caucasiens. Je m’incline devant leur désir d’apprendre. La motivation des parents pour le mandarin? Malgré des frais de scolarité très élevés.

Dans le long corridor, nous croisons madame Feng, une Taiwanaise qui s’intéresse avec un grand sourire à notre petite fille aux cheveux clairs. Sofia est capable de parler mandarin et l’effet s’avère très positif sur l’institutrice. Les compliments sont de mise dans la culture chinoise, mais pour un enfant de 3 ans et demi, l’effort est quand même louable. Bien sûr, pour ma fille et moi qui avons vécu six ans à Taipei, il est facile de sympathiser avec cette volubile dame. Notre mandarin aide beaucoup. «J’aimerais bien que son mari connaisse plus de chinois après x années de mariage», me lance-t-elle en riant.

En poursuivant la visite dans les corridors, il est bien évident que nous sommes dans une institution quadrilingue. Par exemple, aucun problème à reconnaître les directives des enseignants et les répliques des plus jeunes dans la langue de Molière. Les noms des Françaises sont affichés à la porte des classes. «Nous avons des professeurs natifs de France et d’Espagne pour ces deux langues», nous précise Kate Paquette (Missouri) qui a elle même voyagé au Japon et en Thaïlande.

Un immense campus

Le campus de cette école privée de 350 élèves est immense. Une ancienne base de l’aviation américaine. Les espaces alloués aux sports et aux activités de plein air feraient l’envie de toute institution d’enseignement semblable en Asie. (Je pense en particulier à mon École Pak Kau à Hong Kong où j’ai enseigné pendant deux ans.) C’est en 1977 que cette école de Denver a été d’abord ouverte à l’intention de familles recherchant un enseignement en français. (Le nom Montclair provient d’une fusion avec une école de ce nom.) En 2003, le programme d’allemand a été remplacé par le chinois -- puis des liens établis avec les responsables de l’éducation en Chine.

La partie la plus visuelle de notre inspection a lieu dans une classe de beaux arts avec des jeunes de l’âge de notre Sofia. Une quinzaine de frimousses sont réunies autour d’une grande table basse et ils s’en donnent à cœur joie avec leurs pinceaux. LI Su est originaire du Hunan tandis que sa collègue Chang Tsui-chang est taiwanaise. Toutes deux s’affairent autour du jeune cercle d’artistes en herbe. Le tout en chinois. Ici, je vois que la moitié des petits sinophiles sont asiatiques. Au mur, une affiche sur le nom de animaux en chinois.

Madame Wang Yun se joint à nous et ma fille reconnaît illico cette responsable de l’école pour l’avoir croisée dans l’organisation locale du Festival des Bateaux Dragons. Même chose en fait pour Kate Paquette. Le monde est petit! On me fait signe que je peux prendre des photos, mais sans l’autorisation de les diffuser, ce qui est tout à fait normal.

Ambassadeur de l’école?

Dans la conversation, on nous raconte que la célébration des fêtes traditionnelles contribue à l’apprentissage des langues. (Aussi à McGill où j’ai commencé le chinois, une de nos premières activités dirigées par le prof. a consisté à aller manger avec des baguettes au quartier chinois.) Je vois donc entre les casiers des étudiants des références colorées au Nouvel An lunaire du Lapin. Le Mardi Gras fait aussi partie de la formation culturelle. Il y a aussi une séance d’origami parce que la DMIS se prépare à en expédier un millier au Japon en signe de solidarité avec les victimes du tsunami du 11 mars dernier.

Avant de terminer la visite dans cette miniréplique des Nations Unies où quatre langues coexistent de façon si concrète et si pacifique, je demande à pouvoir rapporter en souvenir un t-shirt de l’école. Mieke Bushhouse m’en fait cadeau : «à un ambassadeur de la DMIS»!

Je ne sais pas ce que je devrais faire pour bien remplir ce rôle mais, chose certaine, j’en repars plein d’admiration. Une école bilingue c’est bien, mais quadrilingue c’est quatre fois mieux… Les familles envoyant leurs enfants là ne le font pas pour conserver la langue des grands-parents, mais bien dans le but de s’ouvrir sur de nouvelles cultures. Global awareness, lit-on dans la page www.dmischool.com.
Autre bonne impression, il me semble bien que la pédagogie de cette école ne soit pas basée uniquement sur le par cœur, les examens et la «tête bien pleine». Mais avant d’aller plus loin dans mon appréciation, attendons que la petite Sofia y fasse officiellement son entrée. Histoire à long terme!

dimanche, mars 20, 2011

Une survivante du séisme de Kobe (1995) me parle d’un survivant de Sendai : son propre frère!

Kaoru Kobayashi au Musée des arts de Denver
Profitant de la magie des communications, je me suis informé auprès de plusieurs amis japonais et de gaijin ayant un lien direct avec ceux qui souffrent du tremblement de terre de Sendai. En fait, nous avons même un neveu chinois dans la famille qui est marié avec une Japonaise dont la famille est établie à Hiroshima.

Le récit de Kaoru K. est celui qui m’a le plus sidéré. Sa famille habite le cœur de Kobe et a survécu au tremblement de terre du 17 janvier 1995 qui a fait plus de 6 000 victimes. Bref, une survivante, elle, ses deux frères et ses parents qui sont instituteurs. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le vendredi 11 mars dernier à 14h46, son frère cadet se trouvait dans un hôtel du Sendai, nouveau coup dur pour la famille. Mais il a «survécu» à l’immense choc. Miracle!

Immigrante au Colorado

Je la rencontre dans un café très populaire du quartier de Highland à Denver et la jeune femme de 33 ans me raconte les deux histoires parallèles. Sans émotion apparente. Avec force détails. Nous nous connaissons depuis quelques années. Elle travaille au Festival des Bateaux Dragons de la capitale du Colorado, ainsi que dans l’organisation des guides (scouts). Ce samedi-là, elle revient d’une réunion d’un nouveau groupe d’entraide appelé Asian Dialogue. Je n’étais pas au courant qu’elle était originaire de la ville portuaire de Kobe. J’y suis passé y’a longtemps pour visiter des amis de longue date -- que je veux essayer de retrouver un de ces jours.

«Mon frère travaille pour une compagnie qui a des hôtels à Kobe et aussi à Osaka, endroit d’où il est parti pour occuper un poste de gérant dans un nouvel hôtel, doté d’un vaste espace avec terrain de golfe dans la ville de Sendai. Peut-être pas plus d’une quinzaine d’étages. Ce n’est que trois jours plus tard qu’on a réussi à lui parler au téléphone, soit dimanche aux Usa et lundi au Japon. Il nous a naturellement raconté que ça tanguait drôlement dans l’hôtel. Puis la communication s’est rompue pendant un certain temps. Nous savions qu’il voulait partir de là en direction du sud», m’explique cette amie en buvant son café au lait. Kaoru K. demeure sereine malgré tout. Son mari est originaire de Tokyo et le couple vit à Denver avec leur jeune fils. Inutile de préciser que les appels ont récemment été très nombreux entre les quatre villes en question.

Kaoru était donc âgée de 17 ans lors du séisme de 7,2 dans la deuxième ville portuaire de l’archipel. Je me souviens encore de la tour surplombant le port moderne de Kobe. Ville ouverte sur l’étranger. «J’étudiais au lycée à cette époque. Quand c’est arrivé, tout a tremblé et ma première idée était qu’un camion avait dû percuter la maison. Il était 5h45 du matin et nous sommes sortis avec mes deux frères dans l’obscurité de la ville. Je me souviens qu’on a frappé de façon un peu innocente à la porte d’un dépanneur dont le bâtiment était sérieusement penché, pour demander qu’on nous vende des vivres. Plus tard, on a découvert une autoroute complètement effondrée. Dans notre malchance, le fait que la secousse ait eu lieu à 5h45 nous a quand même porté chance parce que c’était avant l’heure du petit déjeuner. Une heure plus tard, avec tous les appareils électriques allumés, le danger d’incendies généralisés aurait été beaucoup plus grave », poursuit-elle.

Pas de pillage

Exactement comme les commentateurs américains, je m’étonne quand même du sang froid et de la discipline de la population japonaise. Pas de pillage dans les magasins? Exemple, il y en a eu beaucoup après le tremblement de terre de 1989 à San Francisco. Kaoru réfléchit pendant quelques secondes et confirme : «Je n’en ai pas entendu parler ni à Kobe ni à Sendai.» L’explication? Elle me parle de heiwa boke et m’écrit ce trait national dans sa langue. Difficile à traduire. «Pacifique et quelque chose comme innocent?» Je reconnais les caractères (en ordre inversé) heping qui veulent effectivement dire pacifique. «À Kobe, je me souviens que les gens faisaient ensuite la queue pour diverses choses de façon disciplinée» comme c’est souvent la pratique dans la vie quotidienne. Rien de spécial! Et il faisait froid. C’était en janvier.»

L’histoire personnelle de Kaoru et de son frère à Sendai n’est pas complète. J’en saurai plus long à notre prochaine rencontre. Le témoignage de ce dernier est certainement pathétique. La fuite sûrement interminable vers Kobe. Les retrouvailles avec les siens. Au réseau CNN, une psychologue de la Californie parle de post traumatic stress disorder (ptsd) affectant par la suite les victimes pendant plusieurs années. «Au début, ils ont tendance à agir comme des héros», mais le traumatisme finit par les rattraper. Aux États-Unis, les gens auraient carrément ressenti de la «colère», soutient un journaliste du même réseau.

Nicholas Kristof, du New York Times, ex-correspondant à Pékin, y va d’un commentaire fort intéressant en entrevue télévisée. Il n’a pas été témoin de désordres importants à Kobe en 1995 – à deux exceptions près. D’abord, deux vélos qui ont disparus mais, vérification faite, ce fut pour secourir des blessés. Dans l’autre cas, il y a bien eu pillage d’un magasin. Le journaliste s’est donc informé de la réaction du propriétaire : «Je ne suis pas outré plus qu’il faut. Les coupables ne sont pas japonais. Ce sont des étrangers», de répondre le commerçant. L’exception qui confirme la règle!

Le discours de l’Empereur?

Dernière petite question interculturelle à Kaoru qui jette un regard machinal sur sa montre. «N’es-tu pas étonnée du comportement de l’Empereur dans cette affaire qui n’est sorti de son silence qu’au bout de cinq jours dans une allocution de seulement six minutes. Un discours lu les yeux collés sur son texte comme le fait habituellement le pape. Communicateur plutôt amateur!» Ici, la réponse est négative : «Je ne suis pas surprise.» La jeune femme de Kobe se réfère au célèbre discours de l’Empereur Hirohito qui a mis fin aux hostilités de la dernière guerre mondiale. Elle émet quelques opinions sur la perception de ce personnage dans son pays d’origine. Un héritage historique comme celui des samouraïs. Le point de vue des jeunes et des moins jeunes. Son allocution télévisée du début de chaque année. Bon, ici je dois me replonger plus profondément dans les subtilités de la culture japonaise pour mieux comprendre la vraie nature de ce personnage.

Les commentaires sur le sang froid et la discipline des Japonais sont nombreux. Alain Chalvron, correspondant de France 2 à Pékin, utilise cette petite phrase : «Quand un Japonais fronce les sourcils c’est qu’il est en colère.» Un proverbe allant dans le même sens : «Les larmes des pleureurs attirent les guêpes.»

Le spécialiste des affaires culturelles, Ian Buruma, analyse la réaction japonaise lors de calamités naturelles dans une pleine page du Wall Street Journal. Il parle de «discipline et de solidarité». «Pas de pillages, pas d’émeutes , pas de violence», écrit l’auteur de quelques très bons ouvrages. Les Japonais savent rebondir!

Très admiratif lui aussi, Howard Stringer, pdg de Sony aux Etats-Unis, fait appel à un autre trait de caractère qu’il appelle le fukutsu no seishin : ne jamais abandonner! Les survivants font en effet patiemment et calmement la queue pour la nourriture, l’eau ou le gaz.

Plusieurs commentaires admiratifs

Un autre commentateur du nom de Larry Elder écrit que ce comportement asiatique est une affaire de «culture et de valeurs». On ne pourrait pas tout expliquer en disant que c’est seulement dans les pays pauvres que les survivants dévalisent les magasins. La population japonaise a aussi sa part de gens vivant sous le seuil de la pauvreté. Plus nombreux qu’on le pense habituellement.

Enfin, dans une autre tentative d’analyse, Cathy Lynn Grossman écrit dans USA Today que les Japonais feront appel à d’anciens rituels religieux pour se redonner de la force spirituelle. Se fondant sur les opinions de spécialistes des philosophies bouddhistes, la journaliste soutient que c’est ainsi que ces Asiatiques se consoleront : «Ils se fonderont sur des traditions séculaires d’une culture bouddhiste distincte et sur les croyances anciennes du shintoïsme de leurs prédécesseurs», ce à qui se rattachent 90% des Japonais.

dimanche, mars 06, 2011

La télévision chinoise CCTV nous rejoint


À Austin, pour la première fois pendant le temps des fêtes du Nouvel An 2010-2011, j’ai commencé à regarder les émissions de la chaîne CCTV. Le gouvernement chinois a lancé son propre réseau de nouvelles continues afin de concurrencer, entre autres, l’influence énorme de la chaîne CNN.

Grâce à l’accès payant à des dizaines de chaînes de télévision où je séjournais, le signal de CCTV est apparu un peu par hasard. J’ai donc laissé l’appareil ouvert pendant quelques jours afin d’essayer de juger de la valeur de cette nouvelle source d’information sur la Chine.

Naturellement, avant même d’y jeter le moindre coup d’œil, je savais qu’il s’agissait d’une télévision officielle parfaitement bien contrôlée par les autorités. Mais jusqu’à quel point CCTV laisse-t-il paraître sa mission de transmettre sa vision politique de la situation à l’intérieur du pays et des événements mondiaux? Il aurait fallu que je fasse une analyse systématique de contenu ce qui m’a été impossible pendant un voyage familial. Mais à première vue, d’après un simple regard oblique, le CCTV à destination de la planète me semble assez digestible. Rien vu de trop prêchi prêcha!

On pourrait s’attendre à ce que tous les lecteurs de nouvelles du Journal et la plupart des présentateurs soient chinois puisque plusieurs diplômés à l’étranger s’expriment dans un anglais impeccable, sans beaucoup d’accent. Mais bon nombre d’Occidentaux apparaissent au petit écran et assurent ainsi une bonne qualité de la langue. D’où viennent-ils? Des spécialistes de la télévision? Plusieurs Britanniques? Je n’en connais aucun, mais leur professionnalisme ressort facilement.

Politiquement, au moment où la Corée du Nord faisait des siennes aux dépens du sud de la péninsule, les reportages et les images de CCTV présentaient bien évidemment ce pays sous un angle très favorable. Pas du tout un pays de l’«Axe du mal». Inédit pour un téléspectateur occidental comme moi!

Au fil des heures, 24 heures sur 24, moult répétitions! Les mêmes topos reviennent en boucle, plus souvent, par exemple, que sur CNN. Par manque de matériel, d’images et sans doutes de correspondants. Il n’est donc pas possible de suivre le déroulement d’un événement d’heure en heure.

Soyons positifs! Ce que j’ai aimé le plus ce sont les features sur divers aspects de la culture chinoise. Tout ce qui n’est pas politique. Très instructif! Par exemple, un long exposé sur les photographes chinois. Chacun d’eux explique sa petite histoire, ses voyages et le tout est très bien illustré. Autre sujet, la célèbre Cité interdite en 12 épisodes. Un cadeau du ciel! Bonne addition aussi, les cours de mandarin avec vocabulaire à toutes les sauces.

Bonne surprise, dans la station de ski de sports d’hiver à Vail, Colorado, lors d’une longue fin de semaine avec des amis, je suis tombé à la position 884 sur le CCTV en espagnol. Encore là, j’imagine que tous les latinistes chinois se sont rassemblés pour bien meubler cette chaîne. Aussi, plusieurs Latino-Américains pour combler les postes. Cette fois-là, encore moins de temps pour une longue analyse de contenu. Toutefois, j’ai fait la découverte de belles images d’une télésérie de bon ton. L’Histoire d’une famille noble (金粉世家) a dû fasciner des millions de spectateurs depuis sa première diffusion en 2003. Le titre laisse facilement deviner le déroulement de péripéties de toutes sortes à l’intérieur d’une famille du début du 20e siècle. Beaux comédiens, belles actrices, beaux décors. Tout parlé en mandarin avec sous titres espagnols. J’aurais bien aimé y revoir une de mes actrices préférées, Xu Lu (徐路) que j’ai beaucoup aimée dans Suzhou Creek (du réalisateur Lou Ye, 2000) et dans plusieurs autres films.

Comme dans le cas de CNN et d’autres réseaux du genre, il est possible de retrouver plusieurs bons topos sur la toile de CCTV. Par exemple, le très populaire spectacle de cinq heures du Nouvel An du Lapin y est gracieusement offert. Merveilleux, à condition d’avoir le temps de tout regarder. Pas mauvais de visionner le spectacle qui possède probablement la plus forte d’écoute au monde. Des centaines de millions d’intéressés. Enfin, j’aimerais bien être capable de voir CCTV en direct sur mon portable, mais on me répond que ce n’est pas possible sur un Mac. Je peux quand même en voir de nombreux topos à la pièce en cliquant dans la bonne fenêtre : http://english.cntv.cn