dimanche, avril 29, 2012

Évadé par miracle d'un goulag nord-coréen à 23 ans


À lire: le récit extraordinaire de l'évasion de SHIN Dong-hyuk.
[Au moment d'écrire ces lignes, à partir de Denver où je me trouve, je reçois la nouvelle de l'évasion tout à fait incroyable de l'avocat aveugle de 40 ans, CHEN Guangcheng. Où se trouve-t-il exactement? Sous la «protection des États-Unis», mais où? Difficile de ne pas penser à l'astrophysicien FANG Lizhi qui a bivouaqué pendant 13 mois à l'ambassade américaine au moment des événements de la place Tiananmen. Ce dernier vient tout juste de décéder le 7 avril 2012 à l'âge de 76 ans à Tucson (Arizona).]

Autre pays, autre évasion extraordinaire survenue en janvier 2005. Je viens de refermer un excellent livre publié en 2012 qui glace le sang et qui, en même temps, se lit comme un véritable roman policier (thriller). Il s'agit du récit d'un Coréen du Nord né dans un goulag qui a réussi à s'en évader pour se rendre en Corée du Sud et vit maintenant aux États-Unis.

L'enfer sur terre

La Corée du Nord c'est vraiment l'enfer sur terre. Je pèse mes mots. Un régime inhumain qui traite ses 23 millions de sujets comme de vils animaux. Dans ce «paradis des travailleurs», les «enfants» de Kim-le-père-le-fils-et-le-petit-fils sont divisés en 3 classes avec 51 sous-divisions. Les camps de concentration des nazis ont existé pendant trois ans tandis que les goulags nord-coréens existent depuis cinq décennies au milieu de l'indifférence de la communauté internationale. Ils sont pourtant parfaitement visibles sur les images satellites de Google Earth -- examinées à la loupe. Le plus vaste des six dépasse la superficie de la ville de Los Angeles. La doctrine Kim soutient que les ennemis de classe doivent être éliminés par tranches complètes de trois générations. Du grand-père au petit-fils. Vive la famille!

«Escape from Camp 14» c'est l'expérience incroyable de SHIN Dong-hyuk, venu au monde dans les murs d'un immense camp de détention à cause des fautes politiques de ses parents. Il y travaille et survit dans des conditions effroyables jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 23 ans. Par miracle, il réussit à fausser compagnie à ses gardiens et à gagner le territoire chinois voisin. (Sur l'existence risquée et l'exploitation des réfugiés nord-coréens en Chine populaire, voir l'article de ce blogue sur ma rencontre à Boulder, Co., avec le réalisateur Jim Butterworth.)

Shin Dong-hyuk (son nouveau nom) parle plus tard du «choc» qu'il a vécu lorsqu'il s'est retrouvé hors des murs de l'immense prison construite en 1959. Il a par exemple été surpris de voir tant de photos de Kim Il Sung et de son fils Kim Jong Il. Bizarre? Comme prisonnier-déchet, avec ses 15 000 compagnons et compagnes d'infortune, il ne méritait même pas l'honneur de se faire lessiver le cerveau au sujet des glorieux leaders bénéficiant d'un risible culte de la personnalité.

Deux ans d'entrevue

L'auteur du livre, un journaliste américain autrefois du Washington Post, a interviewé Shin Dong-hyuk pendant deux ans. Blaine Harden a aussi consulté moult sources sur le réseau concentrationnaire nord-coréen afin de vérifier la véracité de toutes les heures d'échange. Le fugitif a aussi été interrogé par de multiples organisations, dont les services sud-coréens. Son vécu apparaissait d'abord tellement renversant.

Je laisse le soin aux lecteurs de lire les détails du quotidien à l'intérieur du goulag, un des six endroits du genre en existence. Bien entendu, comme dans tout camp de concentration, la nourriture, l'habillement et les longues heures de travail évoquent l'horreur. Impossible de survivre sans faire la chasse aux rats. De plus, les détenus doivent se dénoncer entre eux ce qui fait que la méfiance règne en permanence. Les punitions sont courantes et les passages à tabac se font entre les damnés de la terre eux-mêmes.

Devant ses propres yeux, à l'âge de 13 ans, Shin Dong-yuk a vu sa mère Jang Hye Gyung (née le 1er octobre 1950) se faire pendre et son frère Shin He Geun se faire cribler de balles par le peloton d'exécution. Coupables de tentative d'évasion. C'est Shin Dong-hyuk qui les a dénoncés! Geste qu'il regrette encore. Les gardiens ont le droit de vie et de mort sur cette population carcérale -- estimée à 154 000 par les autorités sud-coréennes et 200 000 par les Usa. Les pires tâches comme le travail dangereux dans les mines viennent souvent à bout de ceux qui ont le malheur de s'y faire assigner. Les plus chanceux fabriquent, par exemple, des uniformes pour l'armée.

Séquelles psychologiques

L'irruption de Shin Dong-hyuk dans un monde «normal» comme la Chine (où il a travaillé comme cheap labor), en Corée du Sud, puis aux États-Unis sert à expliquer comment un ex-prisonnier réagit devant ce qu'on pourrait appeler la normalité: manger, se laver, dormir ailleurs que sur le sol, parler avec d'autres êtres humains sans baisser les yeux.

Malheureusement, le miraculé en est sorti avec des séquelles psychologiques profondes. Notamment, le fait d'avoir dénoncé des membres de sa propre famille lui a laissé un sentiment de culpabilité difficile à effacer. Une source de cauchemars. Également, la difficulté à entretenir des rapports d'amitié avec ses compatriotes et des étrangers. Un couple américain de Colombus, en Ohio, lui a fourni l'argent nécessaire pour qu'il tente de recommencer une nouvelle vie en Amérique, mais rien n'est facile. Il a eu une petite amie, mais les fréquentations n'ont pas duré longtemps. Après avoir gagné la Californie en 2009, l'homme de 5 pieds 6 pouces, seulement 120 livres (avec plusieurs cicatrices et une partie de doigt en moins), vit actuellement à Seattle. Je viens de le voir en entrevue à la télévision américaine.

Publiées cette année, les 230 pages de «Escape from Camp 14» (chez Penguin) se lisent tout d'une traite grâce à la plume expérimentée du sexagénaire Blaine Harden. Disponible sur Kindle. Le Guardian en a affiché un bon résumé. Pas très jojo comme lecture, mais une lecture révélatrice sur la bêtise humaine.