dimanche, octobre 02, 2011

Lusophonie: Mia Couto diffuse son Mozambique

Mia Coutu est resté au Mozambique après l'indépendance

L'écrivain bien connu Mia Couto nous plonge dans les contradictions d'une famille désarticulée de son pays avec un livre très récemment publié en français témoignant d'une plume alerte et d'un esprit fin. Un sens extraordinaire de la fiction. Pas un roman structuré avec une intrigue ou un suspense soutenu, mais l'occasion de peindre un tableau humain. En plus, des réflexions sur la vie, les humains et le cosmos.


Il faut donc quelques dizaines de pages avant d'entrer dans l'univers de fable de Mia Couto. S'agit-il bien du douloureux Mozambique profond de l'auteur? Quelle époque? Qui sont ces personnages flottant dans l'air du désert et de la brousse? Même le titre choisi en français semble vouloir entretenir l'ambiguïté : L'Accordeur de silences.

Le titre de la version en portugais (2009) n'en dit guère plus: Jesusalém. Le nom de l'endroit fictif où sont exilés les quelques protagonistes est un «mot-valise» composé de Jésus et d'além, (soit Jésus et au-delà).

Cinq Mozambicains

Si le médecin-biologiste Mia Couto a  décidé de ne pas analyser le cadre de l'action, par contre les personnages de l'au-delà (além) sont vivants dans leur affliction. Le narrateur Mwanito (onze ans, gamin né pour se taire) et son frère aîné Ntunzi (le souffre-douleur) sont les enfants du vieux Silvestre Vitalício, homme têtu comme l'aiguille d'une boussole. Il y a aussi le jeune Zacaria, toujours affublé d'un fusil. Et aussi l'oncle baptisé Aproximado.

Les femmes dans ce tableau monoparental? Mwanito et Nutzi ont la nostalgie de leur mère défunte Dordalma d'où le terme saudade revenant régulièrement dans le texte de 238 pages. Il y a aussi la présence dérangeante de Marta, la blanche tuga (la Portugaise), dans cette terre douloureuse qui donne lieu à toutes sortes de réflexions sur l'amour de la part des cinq mâles. Le langage est parfois poétique, mais parfois cru dans ce «monde de merde» qu'est leur refuge éloigné de la ville.

Né en 1955 à Beira (ville natale de la directrice de la Galerie 3C, Claudia Chin, que LusoPresse vient de présenter), le prolifique Mia Couto porte plusieurs chapeaux avec l'expérience du journalisme, puis de l'enseignement de la biologie et de l'écologie à l'université. (Il aurait beaucoup à échanger avec notre ami Boucar Diouf, l'océanographe passé à l'enseignement et maintenant à un métier s'adressant au grand public.) Le fils d'immigrants portugais nous fait apprécier sa sagesse: «Les fantômes nationaux ne s'entendent pas bien avec les étrangers» ou bien celle-ci qu'il place dans la bouche du tonton Aproximado: «Qui veut l'éternité regarde le ciel, qui veut l'instant regarde le nuage».

Bon partage d'auteur

L'Accordeur de silences nous promène brièvement sur les bords du Tage, à Lisbonne, mais sans y philosopher. Par contre,  çà et là, les noms d'arbres comme le mafura et le ntondo ainsi que l'ânesse nommée Jezibela nous font palper le continent africain. Les Brésiliens y trouveront du Chico César avec cette jolie phrase de sa chanson Templo: Se você olha para mim eu me derreto suave, neve num volcão... [Si tu me regardes je fonds doucement, neige dans un volcan...]. Les Açoriens y trouvent même mention du triste roi Gungunhana (1850-1906) arraché de son Afrique par les autorités coloniales et abandonné à sa mort dans l'exil à Terceira.

Mentionnons que les éditions Métailié (Paris) possèdent une «Bibliothèque Portugaise» d'une quinzaine de titres dirigée par l'historien de l'art et traducteur Pierre Léglise-Costa avec des auteurs comme Lídia Jorge pour ne mentionner que ce nom (voir l'article récent de ma collègue Inês Faro). Anne-Marie Métailié écrit que sa maison publie souvent des auteurs alors inconnus dans leur propre pays, mais qui ne le restent pas longtemps.

Ce mois-ci, le professeur Couto laisse son université à Maputo pour une tournée de promotion en France. Pourquoi pas l'an prochain au Salon du livre de Montréal?  En attendant, L'Accordeur de silences est affiché en vitrine à la librairie Gallimard, 3700 Saint-Laurent. Enfin, merci à la traductrice Élisabeth Monteiro Rodrigues de faire connaître cet auteur (d'une dizaine de titres) aux lecteurs de la francophonie. Bon partage interculturel entre la Lusophonie et la Francophonie (www.editions-metailie.com)