dimanche, mars 20, 2011

Une survivante du séisme de Kobe (1995) me parle d’un survivant de Sendai : son propre frère!

Kaoru Kobayashi au Musée des arts de Denver
Profitant de la magie des communications, je me suis informé auprès de plusieurs amis japonais et de gaijin ayant un lien direct avec ceux qui souffrent du tremblement de terre de Sendai. En fait, nous avons même un neveu chinois dans la famille qui est marié avec une Japonaise dont la famille est établie à Hiroshima.

Le récit de Kaoru K. est celui qui m’a le plus sidéré. Sa famille habite le cœur de Kobe et a survécu au tremblement de terre du 17 janvier 1995 qui a fait plus de 6 000 victimes. Bref, une survivante, elle, ses deux frères et ses parents qui sont instituteurs. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le vendredi 11 mars dernier à 14h46, son frère cadet se trouvait dans un hôtel du Sendai, nouveau coup dur pour la famille. Mais il a «survécu» à l’immense choc. Miracle!

Immigrante au Colorado

Je la rencontre dans un café très populaire du quartier de Highland à Denver et la jeune femme de 33 ans me raconte les deux histoires parallèles. Sans émotion apparente. Avec force détails. Nous nous connaissons depuis quelques années. Elle travaille au Festival des Bateaux Dragons de la capitale du Colorado, ainsi que dans l’organisation des guides (scouts). Ce samedi-là, elle revient d’une réunion d’un nouveau groupe d’entraide appelé Asian Dialogue. Je n’étais pas au courant qu’elle était originaire de la ville portuaire de Kobe. J’y suis passé y’a longtemps pour visiter des amis de longue date -- que je veux essayer de retrouver un de ces jours.

«Mon frère travaille pour une compagnie qui a des hôtels à Kobe et aussi à Osaka, endroit d’où il est parti pour occuper un poste de gérant dans un nouvel hôtel, doté d’un vaste espace avec terrain de golfe dans la ville de Sendai. Peut-être pas plus d’une quinzaine d’étages. Ce n’est que trois jours plus tard qu’on a réussi à lui parler au téléphone, soit dimanche aux Usa et lundi au Japon. Il nous a naturellement raconté que ça tanguait drôlement dans l’hôtel. Puis la communication s’est rompue pendant un certain temps. Nous savions qu’il voulait partir de là en direction du sud», m’explique cette amie en buvant son café au lait. Kaoru K. demeure sereine malgré tout. Son mari est originaire de Tokyo et le couple vit à Denver avec leur jeune fils. Inutile de préciser que les appels ont récemment été très nombreux entre les quatre villes en question.

Kaoru était donc âgée de 17 ans lors du séisme de 7,2 dans la deuxième ville portuaire de l’archipel. Je me souviens encore de la tour surplombant le port moderne de Kobe. Ville ouverte sur l’étranger. «J’étudiais au lycée à cette époque. Quand c’est arrivé, tout a tremblé et ma première idée était qu’un camion avait dû percuter la maison. Il était 5h45 du matin et nous sommes sortis avec mes deux frères dans l’obscurité de la ville. Je me souviens qu’on a frappé de façon un peu innocente à la porte d’un dépanneur dont le bâtiment était sérieusement penché, pour demander qu’on nous vende des vivres. Plus tard, on a découvert une autoroute complètement effondrée. Dans notre malchance, le fait que la secousse ait eu lieu à 5h45 nous a quand même porté chance parce que c’était avant l’heure du petit déjeuner. Une heure plus tard, avec tous les appareils électriques allumés, le danger d’incendies généralisés aurait été beaucoup plus grave », poursuit-elle.

Pas de pillage

Exactement comme les commentateurs américains, je m’étonne quand même du sang froid et de la discipline de la population japonaise. Pas de pillage dans les magasins? Exemple, il y en a eu beaucoup après le tremblement de terre de 1989 à San Francisco. Kaoru réfléchit pendant quelques secondes et confirme : «Je n’en ai pas entendu parler ni à Kobe ni à Sendai.» L’explication? Elle me parle de heiwa boke et m’écrit ce trait national dans sa langue. Difficile à traduire. «Pacifique et quelque chose comme innocent?» Je reconnais les caractères (en ordre inversé) heping qui veulent effectivement dire pacifique. «À Kobe, je me souviens que les gens faisaient ensuite la queue pour diverses choses de façon disciplinée» comme c’est souvent la pratique dans la vie quotidienne. Rien de spécial! Et il faisait froid. C’était en janvier.»

L’histoire personnelle de Kaoru et de son frère à Sendai n’est pas complète. J’en saurai plus long à notre prochaine rencontre. Le témoignage de ce dernier est certainement pathétique. La fuite sûrement interminable vers Kobe. Les retrouvailles avec les siens. Au réseau CNN, une psychologue de la Californie parle de post traumatic stress disorder (ptsd) affectant par la suite les victimes pendant plusieurs années. «Au début, ils ont tendance à agir comme des héros», mais le traumatisme finit par les rattraper. Aux États-Unis, les gens auraient carrément ressenti de la «colère», soutient un journaliste du même réseau.

Nicholas Kristof, du New York Times, ex-correspondant à Pékin, y va d’un commentaire fort intéressant en entrevue télévisée. Il n’a pas été témoin de désordres importants à Kobe en 1995 – à deux exceptions près. D’abord, deux vélos qui ont disparus mais, vérification faite, ce fut pour secourir des blessés. Dans l’autre cas, il y a bien eu pillage d’un magasin. Le journaliste s’est donc informé de la réaction du propriétaire : «Je ne suis pas outré plus qu’il faut. Les coupables ne sont pas japonais. Ce sont des étrangers», de répondre le commerçant. L’exception qui confirme la règle!

Le discours de l’Empereur?

Dernière petite question interculturelle à Kaoru qui jette un regard machinal sur sa montre. «N’es-tu pas étonnée du comportement de l’Empereur dans cette affaire qui n’est sorti de son silence qu’au bout de cinq jours dans une allocution de seulement six minutes. Un discours lu les yeux collés sur son texte comme le fait habituellement le pape. Communicateur plutôt amateur!» Ici, la réponse est négative : «Je ne suis pas surprise.» La jeune femme de Kobe se réfère au célèbre discours de l’Empereur Hirohito qui a mis fin aux hostilités de la dernière guerre mondiale. Elle émet quelques opinions sur la perception de ce personnage dans son pays d’origine. Un héritage historique comme celui des samouraïs. Le point de vue des jeunes et des moins jeunes. Son allocution télévisée du début de chaque année. Bon, ici je dois me replonger plus profondément dans les subtilités de la culture japonaise pour mieux comprendre la vraie nature de ce personnage.

Les commentaires sur le sang froid et la discipline des Japonais sont nombreux. Alain Chalvron, correspondant de France 2 à Pékin, utilise cette petite phrase : «Quand un Japonais fronce les sourcils c’est qu’il est en colère.» Un proverbe allant dans le même sens : «Les larmes des pleureurs attirent les guêpes.»

Le spécialiste des affaires culturelles, Ian Buruma, analyse la réaction japonaise lors de calamités naturelles dans une pleine page du Wall Street Journal. Il parle de «discipline et de solidarité». «Pas de pillages, pas d’émeutes , pas de violence», écrit l’auteur de quelques très bons ouvrages. Les Japonais savent rebondir!

Très admiratif lui aussi, Howard Stringer, pdg de Sony aux Etats-Unis, fait appel à un autre trait de caractère qu’il appelle le fukutsu no seishin : ne jamais abandonner! Les survivants font en effet patiemment et calmement la queue pour la nourriture, l’eau ou le gaz.

Plusieurs commentaires admiratifs

Un autre commentateur du nom de Larry Elder écrit que ce comportement asiatique est une affaire de «culture et de valeurs». On ne pourrait pas tout expliquer en disant que c’est seulement dans les pays pauvres que les survivants dévalisent les magasins. La population japonaise a aussi sa part de gens vivant sous le seuil de la pauvreté. Plus nombreux qu’on le pense habituellement.

Enfin, dans une autre tentative d’analyse, Cathy Lynn Grossman écrit dans USA Today que les Japonais feront appel à d’anciens rituels religieux pour se redonner de la force spirituelle. Se fondant sur les opinions de spécialistes des philosophies bouddhistes, la journaliste soutient que c’est ainsi que ces Asiatiques se consoleront : «Ils se fonderont sur des traditions séculaires d’une culture bouddhiste distincte et sur les croyances anciennes du shintoïsme de leurs prédécesseurs», ce à qui se rattachent 90% des Japonais.

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