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Guillaume, Van Chuong Luu, Phuc; JN, Kin et Dung (2012) |
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Khanh et Dung (tenant Émilie) avec ma belle-soeur Helen, ma femme Kin (Annick au milieu). JN, le grand moustachu. Les deux garçons font partie de la grande famille Huynh. (1980) |
Quel plaisir de se retrouver copain-copine
avec des amis venus de si loin! Surtout quand il s'agit d'amis de longue date
du Vietnam et de courageux réfugiés pour la plupart. Pas facile! Tout a
commencé il y a quelques jours lorsque j'ai reçu sur mon robot le message
mystérieux d'une voix féminine. «Je suis à la recherche du journaliste Jules
Nadeau... tel camp à Hong Kong... le Skyluck... en 1979.» Même message de cette
énigmatique madame Khanh sur mon portail de Communik-Asie.
Je fais d'abord une recherche rapide (perfunctory) en pitonnant «Skyluck» ce
qui me ramène à la malheureuse aventure d'un cargo ayant transporté 2 643 boat people dans la colonie (encore)
britannique le 8 février 1979. Une partie de plus d’un million de Vietnamiens
qui ont fui les communistes à cette époque. Jour pour jour, une histoire alors
vieille de 32 ans. Nous parlons vite au téléphone et les souvenirs remontent
petit à petit à la surface.
Juillet 1979. Après un mois de reportage
avec mon ami historien Georges-Émile Giguère dans le Nord-Est de la Chine, mon boss de La Presse Claude Dubois me propose: «Avant de revenir à Montréal,
prolonge d'une semaine à Hong Kong et prépare-nous un reportage sur les
nombreux réfugiés qui aboutissent là. On va publier ça tout de suite avant ta
série sur la Chine populaire.»
Sept
camps en une semaine
Du 13 au 19 juillet 1979. J'enquête dans
sept camps. Sur l'île de Lantao, dans l'ancienne prison de Chi Ma Wan, je
trouve le clan HUYNH (王) de 13 personnes dont deux jeunes ont commencé
à servir d'interprètes pour le fonctionnaire québécois Florent Fortin et Scott
Mullin du fédéral. Les conversations sont sympathiques et leur photo apparaissent
dans La Presse. «Le Québec présent
dans les camps, de notre envoyé spécial».
Récemment, rue Fleury. À notre souper de
couscous tunisien, Khanh HUYNH me rappelle que le Skyluck (le deuxième cargo, suivant le Hai Hong, avec des réfugiés à bord qui arrivent à Hong Kong) est
resté bloqué pendant quatre longs mois et demi en face de l'île de Lamma avant
que les réfugiés «coupent» l'ancre, que le radeau de la liberté s'abîme sur les
rochers et coule à pic. Le dernier acte avant qu'ils puissent enfin fouler la
terre ferme. «À Hong Kong, après l'affaire très médiatisée du Hai Hong, on croyait qu'il y avait aussi
plein de taëls d'or sur notre rafiot panaméen avec un équipage chinois. Le
tribut au capitaine pour notre fuite vers la liberté.»
Le South
China Morning Post faisait alors état de marchands de métal précieux
parcourant les camps pour acheter de quantités appréciables d'or afin d'éviter
les ventes illégales à bas prix. «Mais en fait, depuis longtemps, la cagnotte
avait été transbordée en haute mer à l'aide d'une grue. Les autorités de Hong
Kong nous envoyaient à manger tous les jours : riz, chop suey, luncheon meat, fruits …. Rien de copieux comme repas, mais pour
nous, les réfugiés, c’est un vrai régal dans de telles circonstances! Au moins,
on avait le ventre plein. L’eau douce était rationnée et avec la chaleur, l’eau
de mer et le savon pour se laver, on a fait l’élevage de poux. Les peignes fins
étaient bienvenus à bord», explique la dame volubile de 57 ans qui en avait
alors 24.
En me relisant dans le quotidien de la rue
Saint-Jacques, je me souviens que j'étais allé à Chi Ma Wan avec la bénédiction
du Commissariat du Canada, sur Hennessy Road, mais pas avec l'autorisation de
la police locale (qui m'a gracieusement assuré les transports en vedette). La
policière du camp ne fut pas très heureuse de voir un reporter s'y balader avec
un Nikon au cou. «Elle nous méprisait en tant que les réfugiés, mais son
attitude a changé quand elle a réalisé qu'il y avait plusieurs professionnels
et plusieurs intellectuels parmi nous. Et nous parlions français, ce que la
dame en uniforme voulait apprendre», de commenter Khanh.
Et
ta soeur?
Après Ahuntsic, c'est au tour de sa petite
soeur Dung HUYNH de m'inviter à aller la rencontrer à Longueuil, elle et son
mari. Encore une fois, contact très chaleureux! «T'as pas changé... tu te
souviens de... » (Hum, les flatteries!) À l'aide de vieilles photos et de
reconstitution de souvenirs, il est possible de rappeler qu'on s'est revus à
Montréal, notamment le 29 mars 1980, jour du baptême de ma fille cadette
Émilie. À ce moment-là, Khanh avait trouvé un emploi chez Jean Coutu sur
Ste-Catherine Est. Mais comme j'ai quitté La
Presse peu après pour aller séjourner à Taiwan (17 juillet 1980), le
contact s'est malheureusement perdu au bout de ces six ans. La skyluckienne
Khanh s'est plus tard mariée avec un Québécois francophone et ils ont eu une
mignonne fille qui a maintenant 16 ans: Alice.
De son côté, Dung, alias «poisson rouge», a
convolé en justes noces avec LY Công Phúc, ex-pilote de l'aviation
sud-vietnamienne. L'homme mince aux cheveux blancs me raconte son plan de vol étendu
de fuite: «La veille de la chute de Saigon, je me suis enfui vers la base
d'Utapao en Thaïlande, puis le transfert à la base de Subic aux Philippines,
puis à l'île de Wake (Pacifique), avant d'arriver en Californie. De là,
mécontent contre les Américains, j'ai opté pour le Canada», m'explique le
technicien retraité depuis 2009 de chez Pratt & Whitney. Son attrait pour
le Canada s'est transformé en amour pour le Québec. «J'ai toujours voté pour le
Parti québécois. René Lévesque, l'homme, m'a beaucoup impressionné!»
Sur la Rive-Sud, le couple Dung-Phúc me
montre les photos récentes de leurs deux filles. La cadette Jacqueline,
diplômée en communications et spécialiste en marketing, est la conjointe de
Vincent, conseiller en assurance. L'anthropologue Yvonne, conjointe de David,
autre anthropologue. Les deux maris sont québécois francophones. Futur
trilingue, le petit Antoine de deux ans parle vietnamien avec sa maman Yvonne
et ses grands-parents. «Un jour, le petit a parlé de núi (= montagne, prononcer nouilles) et David a pensé qu'il voulait
manger des pâtes, mais en fait il était question d'une montagne», de me
rapporter avec admiration légitime Dung et Phúc.
Plus
on est de Vietnamiens
En tant que président fondateur de la Ligue
du sirop d'érable en Asie, apprenant que Dung et Phúc sont en train de boucler
leurs valoches pour leur second voyage au pays des mobylettes, j'alerte vite
l'amie Isabelle Albernhe à Nha Trang pour qu'elle leur prépare une «chambre avec
vue». (Henri Salvador). Isabelle les attend sur la baie les bras ouverts à
l'hôtel Ha Van (de son fils Nicolas) avec une valeur ajoutée: des croissants
chauds de sa propre pâtisserie. (L'histoire de cette laborieuse avocate
amérasienne à la recherche de ses racines profondes mériterait une surate sur
ce blogue.)
Poussant le principe du sirop d'érable plus
à fond, de Longueuil, je donne hic et
nunc un coup de cellulaire à mon ami Guillaume pour vite l'intégrer dans
notre gang. De son vrai nom, VU Dat Chuong (吴)relaxe alors à Montréal entre deux excursions au Vietnam et je veux
qu'il partage quelques bonnes adresses avec ses compatriotes longueuillois.
L'informaticien Guillaume est tellement chaleureux au téléphone qu'il propose
un dîner dans son ex-restaurant de l'Avenue du Parc. Ça promet!
Tout,
tout, tout, mais pas ça!
Poussant le bouchon encore plus loin,
comment ne pas convier à nos agapes l'ami Chuong Van LUU (刘),
honorable comptable à Hydro-Québec, qui revient tout juste de ses deux patries:
Chine et Vietnam. Avec son «boss de
toujours», sa conjointe Anh (fraîchement retraitée du CN), et leurs fils
Alexandre et Philippe, ils ont décidé de rouler leur bosse dans plusieurs pays
de la région en 2011-2012. D'origine Chaozhou (Chiuchow ou Teochew) comme la
génération de jadis du clan HUYNH, il m'a souvent parlé de son désir de faire
l'ascension du Huangshan. La montagne sacrée dont le nom se traduit par
montagne Jaune. Maintenant, c'est fait. Il est revenu enchanté du pèlerinage et
me mentionne ce détail: «Notre hôtel était situé au dessus des nuages.» Au
Vietnam, c'est Danang qui l'a interpellé et il aimerait y retourner.
Le jour du lunch au restaurant Tini, ma femme Kin (Cantonaise de Hong
Kong) et moi, nous nous retrouvons au milieu d'une joyeuse bande de parlant vietnamien.
Nous ne comprenons pas grand-chose, mais nous constatons que la chimie est
parfaite. Un éclat de rire n'attend pas l'autre. Si les Asiatiques sont souvent
réservés en face d'inconnus lors d'une première rencontre, ce n'est pas le cas
ce jeudi-là. «Tout, tout, tout, mais pas ça!» comme dit la chanson.
Cette histoire ne fait que commencer. Nous attendons maintenant madame
Anh de son safari oriental. Alice va revenir d'Italie. Guillaume, Dung et Phúc
vont croiser les baguettes à Saigon. Sans oublier le grand mandarin retraité
Florent Fortin que j'aurais vraiment dû faire venir de la Rive-Sud à notre
conventum. Reste Scott Mullin qui est actuellement au travail en Iran. La Ligue
du nuoc-mâm en Asie ne réseaute pas
jusqu'au pays des mollahs, mais il ne perd rien pour attendre. Ce sommet ne
comprend pas tous mes bons amis vietnamiens et mi-vietnamiens, mais voilà déjà
un bon coup de chapeau en direction de l'Indochine!
En 32 ans, beaucoup de choses ont changé. Plusieurs nous ont quittés.
Ceux qui restent ont maintenant des cheveux blancs ou poivre et sel. La plupart
sont à la retraite. Certains avec le sens de l’orientation affaibli qui
distingue mal le nord du sud …. Vive le printemps qui s’en vient !
(Rédigé avec les aimables corrections de Khanh, elle qui me dit être en
train de chercher de la documentation sur cette déplorable affaire du Skyluck
afin que les plus jeunes sachent par quoi sont passés leurs parents.)