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À lire: le récit extraordinaire de l'évasion de SHIN Dong-hyuk. |
Autre pays, autre évasion extraordinaire
survenue en janvier 2005. Je viens de refermer un excellent livre publié en
2012 qui glace le sang et qui, en même temps, se lit comme un véritable roman
policier (thriller). Il s'agit du
récit d'un Coréen du Nord né dans un goulag qui a réussi à s'en évader pour se
rendre en Corée du Sud et vit maintenant aux États-Unis.
L'enfer
sur terre
La Corée du Nord c'est vraiment l'enfer sur
terre. Je pèse mes mots. Un régime inhumain qui traite ses 23 millions de
sujets comme de vils animaux. Dans ce «paradis des travailleurs», les «enfants»
de Kim-le-père-le-fils-et-le-petit-fils sont divisés en 3 classes avec 51
sous-divisions. Les camps de concentration des nazis ont existé pendant trois
ans tandis que les goulags nord-coréens existent depuis cinq décennies au
milieu de l'indifférence de la communauté internationale. Ils sont pourtant
parfaitement visibles sur les images satellites de Google Earth -- examinées à
la loupe. Le plus vaste des six dépasse la superficie de la ville de Los
Angeles. La doctrine Kim soutient que les ennemis de classe doivent être
éliminés par tranches complètes de trois générations. Du grand-père au
petit-fils. Vive la famille!
«Escape
from Camp 14» c'est l'expérience incroyable de SHIN Dong-hyuk, venu au
monde dans les murs d'un immense camp de détention à cause des fautes
politiques de ses parents. Il y travaille et survit dans des conditions
effroyables jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 23 ans. Par miracle, il réussit
à fausser compagnie à ses gardiens et à gagner le territoire chinois voisin.
(Sur l'existence risquée et l'exploitation des réfugiés nord-coréens en Chine
populaire, voir l'article de ce blogue sur ma rencontre à Boulder, Co., avec le
réalisateur Jim Butterworth.)
Shin Dong-hyuk (son nouveau nom) parle plus
tard du «choc» qu'il a vécu lorsqu'il s'est retrouvé hors des murs de l'immense
prison construite en 1959. Il a par exemple été surpris de voir tant de photos
de Kim Il Sung et de son fils Kim Jong Il. Bizarre? Comme prisonnier-déchet, avec
ses 15 000 compagnons et compagnes d'infortune, il ne méritait même pas l'honneur
de se faire lessiver le cerveau au sujet des glorieux leaders bénéficiant d'un risible
culte de la personnalité.
Deux
ans d'entrevue
L'auteur du livre, un journaliste américain
autrefois du Washington Post, a
interviewé Shin Dong-hyuk pendant deux ans. Blaine Harden a aussi consulté
moult sources sur le réseau concentrationnaire
nord-coréen afin de vérifier la véracité de toutes les heures d'échange. Le
fugitif a aussi été interrogé par de multiples organisations, dont les services
sud-coréens. Son vécu apparaissait d'abord tellement renversant.
Je laisse le soin aux lecteurs de lire les
détails du quotidien à l'intérieur du goulag, un des six endroits du genre en
existence. Bien entendu, comme dans tout camp de concentration, la nourriture,
l'habillement et les longues heures de travail évoquent l'horreur. Impossible
de survivre sans faire la chasse aux rats. De plus, les détenus doivent se
dénoncer entre eux ce qui fait que la méfiance règne en permanence. Les
punitions sont courantes et les passages à tabac se font entre les damnés de la
terre eux-mêmes.
Devant ses propres yeux, à l'âge de 13 ans,
Shin Dong-yuk a vu sa mère Jang Hye Gyung (née le 1er octobre 1950) se faire
pendre et son frère Shin He Geun se faire cribler de balles par le peloton d'exécution.
Coupables de tentative d'évasion. C'est Shin Dong-hyuk qui les a dénoncés! Geste
qu'il regrette encore. Les gardiens ont le droit de vie et de mort sur cette
population carcérale -- estimée à 154 000 par les autorités sud-coréennes et
200 000 par les Usa. Les pires tâches comme le travail dangereux dans les mines
viennent souvent à bout de ceux qui ont le malheur de s'y faire assigner. Les
plus chanceux fabriquent, par exemple, des uniformes pour l'armée.
Séquelles
psychologiques
L'irruption de Shin Dong-hyuk dans un monde
«normal» comme la Chine (où il a travaillé comme cheap labor), en Corée du Sud, puis aux États-Unis sert à expliquer
comment un ex-prisonnier réagit devant ce qu'on pourrait appeler la normalité:
manger, se laver, dormir ailleurs que sur le sol, parler avec d'autres êtres
humains sans baisser les yeux.
Malheureusement, le miraculé en est sorti
avec des séquelles psychologiques profondes. Notamment, le fait d'avoir dénoncé
des membres de sa propre famille lui a laissé un sentiment de culpabilité
difficile à effacer. Une source de cauchemars. Également, la difficulté à
entretenir des rapports d'amitié avec ses compatriotes et des étrangers. Un
couple américain de Colombus, en Ohio, lui a fourni l'argent nécessaire pour
qu'il tente de recommencer une nouvelle vie en Amérique, mais rien n'est
facile. Il a eu une petite amie, mais les fréquentations n'ont pas duré
longtemps. Après avoir gagné la Californie en 2009, l'homme de 5 pieds 6
pouces, seulement 120 livres (avec plusieurs cicatrices et une partie de doigt
en moins), vit actuellement à Seattle. Je viens de le voir en entrevue à la
télévision américaine.
Publiées cette année, les 230 pages de «Escape from Camp 14» (chez Penguin) se
lisent tout d'une traite grâce à la plume expérimentée du sexagénaire Blaine
Harden. Disponible sur Kindle. Le Guardian
en a affiché un bon résumé. Pas très jojo comme lecture, mais une lecture
révélatrice sur la bêtise humaine.
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