samedi, décembre 04, 2010

«Pas facile le travail en groupe chez les Chinois», selon le journaliste Zhao Jian

Il y a une dizaine d’années, lorsque mon ami Zhao Jian a lancé son tout nouveau hebdomadaire, j’allais souvent à l’imprimerie en pleine nuit pour tenter de l’aider dans sa communication avec les ouvriers de la compagnie près de chez moi. Un jour, je lui ai dit qu’il était le patron et qu’il devait vite former une bonne équipe et «déléguer» pour bien gérer Sino-Québec. «Non, me répondit-il, les Chinois ne sont pas capables de travailler en groupe. Très difficile.» Sa réponse m’est restée à l’esprit et m’a longtemps intrigué.

L’autre soir, autre décennie, je l’ai invité à me rencontrer pour en discuter. Une rare rencontre entre nous. Nous devrions nous voir plus régulièrement. Son explication commence par un proverbe : «les Chinois sont contents et satisfaits quand ils ont une terre, une femme et un fils». Rien de plus! Ainsi, selon lui, dans un pays de tradition agricole, il n’y a pas cette habitude de travailler en groupe – contrairement aux pays industrialisés où il y a des chaînes de montage.

Des associés se séparent

Zhao Jian ajoute une anecdote personnelle qui l’a visiblement marqué. «Avant de venir à Montréal, j’ai ouvert une compagnie avec trois confrères d’université dans le secteurs des affiches électroniques. Nous avions un bon chiffre d’affaires et c’était prospère. Mais nous n’avions pas établi les règles du jeu au départ. Quand est venu le temps de partager des profits, chacun disait qu’il avait travaillé et contribué plus que les autres. On a dû se séparer. Finie la compagnie!»

Mon objection : les Occidentaux ont nettement l’impression que le groupe prédomine sur l’individu en Chine et dans les pays voisins comme le Japon? Oui, les Japonais sont unis comme nation. C’est d’ailleurs ce qui fait peur aux Chinois, militairement parlant -- cette unité. Les Japonais peuvent fonctionner en groupes. Les Américains ne sont pas unis du tout entre eux. Les Canadiens non plus.

Mais est-ce que tant d’années de communisme n’ont pas forcé les Chinois à travailler en groupes, en unité de travail (danwei) plutôt qu’individuellement? Ici, la réponse de Zhao Jian est directe et simple : «Le communisme est un échec en Chine!» En d’autres termes, rien de changé à la tradition! Marx n’est pas soluble dans le thé!

Qui est plus individualiste?

Le fondateur du journal va encore plus loin en affirmant que les Chinois sont «très individualistes». Affirmation pour le moins étonnante de sa part, car ce sont bel et bien les Occidentaux qui sont perçus comme individualistes : la philosophie grecque (comme l’explique Richard E. Nisbett dans The Geography of Thought -- 2003), la Révolution française, les droits de la personne, etc.

Et pourtant, comme patron d’un hebdo depuis 2001, mon ami doit bien avoir une équipe sous ses ordres pour faire fonctionner l’entreprise? «Exact», répond-il. Comment gère-t-il ces quatre-cinq personnes à temps plein pour que ça marche aussi bien? Ses principes de gestion pour le team work? «Très simple, je les paie bien. Plus que dans les autres journaux chinois montréalais.»

Pendant la conversation, il invoque une autre raison déterminante : «Avec la politique de l’enfant unique, les jeunes n’ont plus de frères ni de sœurs. Y sont pas habitués à composer avec les autres.» Ils n’ont que les parents et les quatre grands-parents pour s’occuper d’eux. Bref, selon l’expression consacrée, le petit empereur, chouchouté par six adultes,.

«Il n’y a pas de grandes compagnies en Chine, poursuit le gars originaire du Hebei. Tu peux m’en nommer?» Il y a bien Haier et Lenovo. Pour lui, les seules grandes compagnies sont des sociétés d’État. Rien de semblable à Coca Cola, par exemple. Ailleurs, à Taiwan, oui, autre type de société, il y en a de grandes compagnies comme Acer. Au Canada, il y a T & T, (fondée par une Taiwanaise), qui en mène large dans l’alimentation. (Inconnu au Québec.) Loblaws vient de l’acheter.

Un homme discret

Sinon, en Chine, très important, conclut l’entrepreneur Zhao Jian, détenteur d’un bac. En électronique, les compagnies fonctionnent sur le modèle de l’entreprise familiale. Le père tire toutes les ficelles et quand il y a transfert de pouvoir, ce sont les fils qui assurent la relève.

Zhao Jian pousse le bouchon un peu plus profond en qualifiant les Chinois de Montréal d’«égoistes». «Plusieurs ont très bien réussi ici et ont fait de l’argent, mais personne n’a daigné contribuer à la communauté ni à la société d’accueil.»

Dans Le guide du Montréal multiple, dont elle est co-auteure, Laura-Julie Perrault fait remarquer que Zhao Jian publie un journal d’une trentaine de pages avec un tirage de 10 000 copies – le tiers du chiffre du Devoir. En entrevue, il a là aussi insisté sur la division de la communauté chinoise de Montréal. Une communauté «divisée… avec 300 associations». Faut construire des «ponts» entre les différentes générations, les vieux et les nouveaux immigrants, par exemple. Je suis content que la journaliste de La Presse ait suivi mon conseil de prendre le soin de recueillir son témoignage. Dommage qu’il soit si discret!

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