dimanche, février 20, 2011

Morgan Chua: caricaturiste d'exception en Asie

Parlant humour, dans les pays asiatiques, les caricaturistes exercent un métier à risque. L’exception qui confirme la règle, c’est Morgan Chua qui a agrémenté les pages du Far Eastern Economic Review pendant 22 ans. Ce Singapourien qui me faisait alors penser à un adepte d’arts martiaux, avec son allure de jeune Bruce Lee, a été celui qui alliait le mieux qualité artistique et sens critique. Il n’a sûrement pas appris à s’exprimer librement dans sa Cité du Lion où la presse obéit fidèlement à la ligne de l’omnipuissant Parti du peuple. Il m’a spontanément avoué qu’il avait déjà reçu des coups de fil de l’agence Chine Nouvelle qui n’appréciait pas tellement ses dessins du Grand timonier. Certes, la caricature existe en Chine populaire et ailleurs en Asie, mais les dessins n’expriment jamais une opinion personnelle et ne mettent jamais un dirigeant dans l’eau bouillante. Question de respect pour les patrons, tel que mentionné plus haut. Bref, rien pour se dilater la rate comme ailleurs.

L’autoritaire Lee Kuan Yew

Au début de sa longue carrière, alors âgé de 22 ans, Morgan Chua a facilement fait monter la moutarde au nez de l’autoritaire président Lee Kuan Yew. Dans le Singapore Herald, il a représenté l’homme politique monté sur un blindé menaçant d’écraser un bébé inoffensif, c’est-à-dire son propre journal – frappé d’interdiction un an après son lancement. Motif officiel: «hostile aux intérêts nationaux»! D’autres médias (Time, Newsweek, Economist, Asian Wall Street Journal) ont eu maille à partir avec Lee Kuan Yew, le père, et Lee Hsien Long, le fils.

Si la fermeture du Herald en 1971 a fait déménager Morgan Chua vers Hong Kong, c’est le changement de souveraineté de ce territoire en 1997 qui a fait rentrer l’artiste chez lui. Dans My Singapore (2000, 2008) et dans Divercity Singapore (2009), on lui doit des recueils de dessins encore susceptibles de faire froncer le sourcil. Dans une entrevue, à la question de savoir pourquoi on ne peut pas faire de caricatures des politiciens locaux, Morgan Chua explique brièvement: «En Asie, nous honorons le père. Très confucéen. Pas comme en Occident.» Il ajoute toutefois que dans son cas, il le peut en vertu des droits de la personne. «Mais je m’en tiens aux faits, aux événements.»

My Singapore : dessins de l’histoire

Encore une fois, grâce à l’amabilité de ma parenté américaine, j’ai pu mettre la main sur My Singapore que m’a rapporté de la grande librairie Kinokuniya de la Cité du Lion un spécialiste de la formation en ligne. Morgan Chua y raconte à l'aide de sa plume l’histoire de la petite république en s’attachant aux principaux personnages qui l’ont marquée depuis les origines. Beaucoup de noms et de faits. Faut être un tant soit peu familier avec les grands jalons historiques pour en apprécier toutes les allusions. J’imagine que certains grands bonzes souhaiteraient jouer du ciseau purificateur dans un certain nombre de pages. Mais rien de très méchant.

«Le Père, le Fils et le Saint Goh» (Lee Kuan Yew, Lee Hsien Loong ainsi que Goh Chok Tong) occupent une place prépondérante dans l'ouvrage de Morgan Chua revisé en 2008 alors qu'il approchait la soixantaine. Donc, un artiste plus sûr de lui et un homme qui affiche aussi un mélange de nostalgie et même de fierté face à son pays de naissance. Ce que j'aime du manuel d'histoire, dédié aux enfants de Singapour, c'est le fait d'avoir fait une place à des opposants jouissant habituellement de peu de visibilité dans les médias officiels. On y voit même sur deux pages la tête d'un célèbre terroriste de la mouvance islamiste qui a réussi la «grande évasion» par la fenêtre d'une toilette. «Je me suis tiré la chasse du bol de toilette», de lancer l'homme qui a couvert de ridicule le ministre de l'Intérieur et les autorités policières. Au moment d'aller sous presse, précisait Morgan Chua, le fugitif courait encore.

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