mardi, janvier 31, 2012

L'Art de la guerre et les six hebdos de Montréal


Pas moins de six hebdos s'adonnent à l'«art de la guerre» pour charmer les différents publics. Dans une communauté de quelque 90 000 Chinois (estimation raisonnable) mesurant le temps en dynasties et en millénaires, les trois journaux du siècle dernier tiennent bien le coup, tandis que deux des trois nouveaux de ce siècle-ci se taillent une niche avec plus ou moins de succès en misant sur leurs portails. Le dynamisme provient des immigrants récents du continent, plus scolarisés et plus technos.

Compétition oblige! Une presse mal connue et difficile à saisir, car les responsables ne se confient pas au premier venu. Les génériques manquent. Les papiers sont signés de noms de plume ou marqués d'un simple «spécial à ce journal». Sans compter la barrière de la langue, véritable Muraille de Chine. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec? Inconnue au bataillon!

Dans cette communauté longtemps victime de racisme, dont les origines remontent à 1877, estime-t-on, les divisions sont notoires. Les premiers immigrants de Taishan, ceux de Hong Kong et de Taiwan ainsi que les continentaux de la république populaire forment autant de sous-groupes parlant autant de dialectes. Scolarisé en caractères simplifiés, un Sichuanais arrivé ici en 1989 me racontait: «J'avais du mal à comprendre le vocabulaire de Hong Kong dans un journal imprimé en caractères traditionnels.» Si les Italiens du nord et du sud se regardent de travers, pas étonnant qu'on parle de «communautés chinoises». On compte quelque 200 associations (pas toutes actives)! Le nom de Montréal est étonnamment traduit de trois façons différentes. (Mandike pour les Cantonais, Mengtelou pour Taiwan et Mengtelier pour les autres.) Sans oublier la rivalité attisée par des régimes politiques opposés des deux côtés du détroit de Taiwan.

Trois hebdos en douze ans

Le paysage médiatique varie et progresse selon les vagues d'immigration. Honneur au vétéran d'abord: arrivé ici comme étudiant, Crescent Chau (Zhou Jinxing, selon le pinyin) fonde la Presse Chinoise (Chinese Press, Huaqiao Shibao) en 1981. Son petit local de la rue Clark est juché au-dessus de l'imprimerie d'Anna Lee qui fait très Chinatown où il se fait aider par trois dévouées assistantes. Le seul patron hongkongais de la Bande des six cumule maintenant 30 ans d'expérience et se vante de son réseau inégalé: le fameux guanxi. Ce pionnier occupe tout l'espace pendant une dizaine d'années ans jusqu'à l'apparition de deux compétiteurs.

D'abord un sosie en 1991, les Nouvelles Chinoises (Chinese News, Huaqiao Xinbao), qui choisit un nom quasi identique selon le nome chinois. Dans le complexe Guy-Favreau, au comptoir de la librairie bien éclairée, l'ami Alan Che Xiangqian, originaire de Ningbo et diplômé de Concordia en littérature, m'arrange vite une entrevue avec le rédacteur en chef. Au milieu de quelques clients, j'entends le staccato du dialecte de Shanghai. «Nous sommes tous shanghaiens ici», me lance en riant ZHANG Jian dans le français qu'il a commencé à apprivoiser pendant trois mois seulement dans un Cofi. Avant de venir à Montréal, il travaillait dans une station de radio dans une grande compagnie shanghaienne. À la barre des Nouvelles Chinoises depuis 20 ans, il emploie deux personnes (une aux nouvelles et une aux annonces) pour l'aider à publier un journal maintenant distribué gratuitement.

Les Nouvelles Chinoises équilibrent leur budget avec son service de visas chinois situé dans l'unique point de ventes de livres du pays de Mao. Au Nouvel An du Dragon, les souhaits de la consule Zhao Jiangping figuraient à la une. Est-ce à dire que le journal penche du côté de Pékin? «Oui, répond sans hésitation l'homme habillé tout en noir. Pour nous, y'a qu'une Chine, tandis que pour le journal Luby, y'en a deux.» Couverture locale? «Très peu. Pas facile de trouver des journalistes.» La FPJQ? «C'est eux qui donnent des permis de journalistes. Quand la police en demande?»

Luby est le nom (intraduisible) du journal lancé en 1992 (Luby Chinese Weekly, Lubi Huaxun). Publication utile pour publiciser un service d'immigration et de traduction. Troisième entreprise de presse installée dans le Quartier chinois, voisin du restaurant Kam Fung. Luby assure en effet la meilleure couverture de l'actualité taiwanaise sous l'influence du fondateur Cheung Hon-ming (Zhang Hanming) qui brasse des affaires dans l'île nationaliste. Avec le nombre record de 80 pages (dont plusieurs font circulaires) Luby fait le double du poids des Nouvelles Chinoises.

À l'époque du référendum de 1995, s'intéressant aux leaders d'opinion, le ministère de l'Immigration du Québec m'a passé une commande de traductions. Dans nos résumés de la Presse Chinoise et des Nouvelles Chinoises, sans surprise, nous avons relevé une majorité d'articles défendant le Non contre le Oui. Des caricatures transmettaient le même message. Sinon, l'essentiel défendait les intérêts et la réputation des Chinois comme, par exemple, dans le cas de la mafia asiatique.

La nouvelle vague

Au tournant du millénaire (1995-2005), les nombreux indépendants du continent font en sorte que le groupe chinois devient le premier contingent à s'installer chez nous. Il leur manque un journal qui leur ressemble. Parmi eux, de jeunes entrepreneurs ambitionnent de moderniser la communauté avec des stratégies nouvelles. Originaire du Hebei et aguerri aux affaires à Shenzhen, ZHAO Jian lance Sinoquébec (Mengcheng Huaren Bao) et «marche sur deux jambes»: primo son portail en 1999, secundo l'édition papier le 1er juillet 2000. Tous les jeudis soir, avec une camarade, il vient près de chez moi à Hebdo Litho (de la famille Gagliardi du Corriere Italiano qui imprime 28 journaux ethniques et 3 des 6 hebdos chinois) où se font les dernières retouches. L'avant-gardiste Zhao Jian est le premier à passer aux caractères simplifiés. Le numérique remplace les plaques photographiques. Les techniciens ne comprennent toutefois que dalle aux milliers de signes dansant sur l'écran lumineux. Le jeune ingénieur en électronique (diplômé de Tianjin) ne parle pas français. Peu importe, on n'arrête pas le progrès! C'est aussi le premier hebdo distribué gratuitement.

En privé, Zhao Jian fait preuve d'un esprit très critique face à tout ce qui est culture chinoise. Pourtant, pas d'éditorial pour ne pas faire de vagues. Le Lone Ranger fonctionne dans la plus grande discrétion sans cartes d'affaires ni pignon sur rue. Étonnant qu'il ait accepté ma suggestion de donner une entrevue à Laura-Julie Perreault pour le Guide du Montréal multiple qu'elle a commis avec son collègue Jean-Christophe Laurence. Sinoquébec commence par un bon ratio textes-publicité mais, avec le temps, les commerciaux affluent dans la quarantaine de pages (parfois 48 et jusqu'à 52 pages). Il emploie cinq personnes, mais n'a même pas besoin de vendeur de publicité ni besoin de rencontrer les annonceurs. Tout se transige électroniquement. «Sa page électronique est devenue une source d'information et d'échanges indispensable pour tous les nouveaux arrivants», admet sans détour Li Yanhong, journaliste chez un compétiteur. «Il peut y avoir une moyenne de 500 lecteurs actifs par jour sur plusieurs sujets divisés en 21 forums», selon Zhao Jian qui m'a toujours parlé fièrement du grand public ainsi rejoint, ceux qui s'intéressent au Québec.

Zhao Jian, qui a été actif dans des organisations étudiantes, me répète: «Faut pas être égoïstes Je veux contribuer au Québec.» Non seulement a-t-il mis le nom Québec dans le titre, mais il se fait imprimer à Saint-Léonard tandis que d'autres préfèrent l'Ontario (trois des six hebdos évitent ainsi de payer les taxes). Voulant dès le début ouvrir ses pages à la diversité, il m'a offert une chronique -- conseils à des néo-Québécois -- mais la traduction de plusieurs textes est devenue une corvée pour les généreux bénévoles. Sur une entrevue avec Lise Thériault, alors ministre de l'Immigration, les contresens étaient si graves qu'il m'a fallu abandonner cette collaboration.

Les ambitions de Sept Days

Sans doute alléché par le succès de Sinoquébec, l'homme d'affaires taiwanais John Chen (Chen Qiangsheng) finance en 2006 un journal au titre bilingue: Sept Days (Qitian). Le grand format (supérieur à La Presse) permet d'illustrer de façon encore inégalée les reportages locaux. Le logo très design brille. Jamais la une n'a été aussi attrayante avec des personnalités de divers horizons. Une entrevue que je fais sur Chantal Petitclerc couvre toute la une avec une grande photo. Pendant quatre ans, le photographe Claude Forest accompagne la reporter HU Xian dans le Chinatown, au festival de Saint-Tite et à Québec sans oublier le Bonhomme Carnaval. Cette enthousiaste quinquagénaire qui est même allée en reportage jusqu'à Kaboul, un grand coup du journal, me déclare: «Je crois que nous sommes les meilleurs à Montréal.»

Li Yanhong met à profit son expérience de journaliste à Pékin pour aller partout sur le terrain. «L'apparition du journal Sept Days met fin à la simple traduction de nouvelles des médias majoritaires», écrit-elle dans mon mémoire de maîtrise. «Dix-huit mois après le lancement, l'éditrice YIN Ling (originaire du Henan) déclare à la Gazette: «La différence entre nous et les autres journaux chinois c'est que chaque article [sur Montréal] dans chaque page est écrit par nos journalistes». Fuyant l'anonymat, le journal aime organiser des activités publiques. Cinq ans plus tard, les trois ambitieuses femmes doivent sérieusement relever le grand défi de bien équilibrer les colonnes de chiffres.

Enfin, le benjamin de la Bande des six, Xinjiayuan est le premier à comporter quelques pages en français. L'Éventail a le plus petit format et aussi le plus petit nombre de pages. L'active animatrice Ma Lijie (notamment du Festival de Montréal de la Culture Chinoise) m'avoue qu'il s'agissait «dès le début d'un lien commercial plutôt que d'un organe de nouvelles». Tout en avouant ne pas connaître «la théorie des médias», la rédactrice actuelle, Jasmine Sun Mojuan, déplore: «il faut des budgets pour avoir des journalistes qui couvrent l'actualité et les conférences de presse. L'Éventail peut quand même établir un pont entre les deux cultures.» Elle aimerait bien obtenir une subvention du gouvernement. En attendant, les courts articles ne sont pas signés et les sources ne sont pas données. Mais tout ce qui est en français est bien écrit. Dans son premier numéro d'octobre 2010, la rédaction a demandé: «S'il y a une faute de grammaire...merci de nous l'indiquer.»

Le nerf de la guerre? Les annonceurs chinois! L'immobilier, la finance et l'éducation fournissent l'oxygène nécessaire, selon Li Yanhong. Le reflet de valeurs traditionnelles: «Sans ma maison, aux yeux de ma famille, je reste un pauvre nomade», m'affirme un jeune informaticien à Verdun. Reste que la tarte publicitaire est découpée en pointes très minces.

Si Montréal entretient six hebdos chinois (en plus quelques éditions locales de grandes d'entreprises d'ailleurs), Toronto en compte un total de 22, selon la Montréalaise Alison Sung (Song Liyi) qui est allée patiemment les compter un par un. Mais il faut toujours bien faire la différence entre les vrais journaux, les simples «circulaires» et les éditions de grands journaux de Pékin et de Hong Kong. Compte tenu de la nombreuse population de la Ville-Reine, de ses cinq Quartiers chinois, ce chiffre de 22 n'est pas étonnant. Lequel est le meilleur? Zhao Jian mentionne les noms de Xingxing Shenghuo et de Dazhong bao. «Mais même avec des tirages de 15 000, il est difficile de mettre la main sur l'un d'eux quand je vais dans un centre commercial de Scarborough ou Markham.»

mardi, janvier 24, 2012

Le coup de coeur de cinq grands bourlingueurs

Robert Guay, Robert Beaudoin, JN, Francine Brodeur, Barbara Finch, Luc Delorme
À la suite de témoignages très positifs qu'on m'a récemment confiés, soit deux cas d'adoption et un magnifique voyage, je vais commencer par ce dernier sur les bourlingueurs. J'ai aidé un groupe de cinq personnes à préparer leur safari de 22 jours en Chine et à leur retour, j'ai été submergé de bons commentaires et de remerciements. Ce sujet me touche parce que j'ai été accompagnateur pour quatre voyages de groupes dans le passé et voici une bonne façon de faire une mise au point.

Je suis certain de ce que j'avance parce que j'ai bien cuisiné ces cinq amis à leur retour afin de creuser le yin et le yang de leurs impressions. J'avais peur que ces êtres sympathiques dorent la pilule uniquement par politesse, mais ce n'est pas le cas. Ils écriront leur propre road movie, mais voici ce que j'en sais. Je ne veux pas faire de pub pour un voyagiste, mais la nouvelle agence en question le mérite et je n'hésiterai pas à la recommander. 

Cette histoire remonte à la nuit des temps lorsque je faisais Science Po à l'Université Laval. Je m'étais lié d'amitié avec un grand bonhomme aux yeux pers nommé Robert Beaudoin. Nous avons beaucoup sympathisé et fait quelques sorties ensemble, mais mes souvenirs de cet étudiant en relations industrielles ne sont pas très précis. Même pas une anecdote drôle. Malheureusement, diplôme en main, j'ai étudié en chinoiseries à l'Université McGill, puis je suis disparu pour un autre deux ans à Hong Kong, donc nenni pour garder mes copains de Sainte-Foy.

Après 40 années de silence, le 18 décembre 2009, je reçois un bip-surprise me demandant de contacter le grand Robert. «J'aimerais ça partir en Chine avec toi», m'annonce-t-il après les e-retrouvailles. Un bon soir qu'il était en train de souper avec des amis, raconte-t-il, il a parlé de la Chine et à la mention de mon nom, un de ses compères branchés m'a trouvé illico sur mon portail de Communik-Asie. «C'est lui ton chum?» Robert Beaudoin (en basse vitesse dans son magnifique repaire champêtre) s'est étouffé avec sa tarte aux pommes: «Ben oui, c'est ben lui!»

La flèche du temps venait de faire tilt! Fantastique de retrouver un vieux confrère Sciences sociales! Ce n'est pas Confucius qui le dit. C'est bibi.

L'agence Transasie

Le topo du départ devient vite très clair. Robert Beaudoin, sa blonde Barbara Finch, un autre couple ainsi qu'un cinquième larron réservent à l'agence Transasie. Trois semaines en novembre 2011. Je propose donc deux mesures concrètes. Primo, nous renseigner sur l'agence du 1672 rue Lincoln. Secundo, une formation à la Communik-Asie pour la Bande des cinq.

Connaissant mieux les Vacances Sinorama, les Voyages Wonder et les Voyages Jade, je m'aventure d'abord seul à la nouvelle agence située près de la rue Guy dans ce que certains commencent à appeler le deuxième Quartier chinois de Montréal (non loin de l'Université Concordia). Le contact est tout à fait kosher. Les quatre employés parlent bien français et ont surtout un grand sens de l'humour. Ça commence bien. «Ils sont très parlables», me suis-je empressé de  rapporter à l'homme du lac paisible.

Le 12 septembre 2011, au nom du groupe, nous allons rencontrer Olivier WANG Huan (王欢) pour l'interroger sur plusieurs points. Très sympathique, le francophone accepte même de luncher avec nous et nous parle de sa feuille de route avant d'arriver à Montréal (deux ans plus tôt). Olivier a transité par le Bénin et Clermont-Ferrand. J'admire chez cet natif de Hangzhou sa franchise et son esprit critique lorsqu'il parle de la mentalité de ses compatriotes: ceux des années '70 et ceux des années '80. Nous mangeons des plats pimentés dans l'authentique restaurant Cuisine Szechuan (aussi très recommandable) ce qui constitue un autre signal encourageant. Ce midi-là, j'invite l'acrobate Elizabeth Gaumond à se joindre à nous étant donné qu'elle a besoin d'un visa pour un concours de cirque à Shijiazhuang, ville du Hebei reliée à la mémoire du Dr Norman Bethune. (Olivier et Elisabeth sur la 2e photo)

Nous commençons en juin 2011 les cours de préparation au mariage. Je veux  leur donner la Chine 101 pour qu'ils apprécient mieux leur aventure orientale. Nous nous réunissons à trois endroits pour des demi-journées. C'est d'bord l'enchantement complet chez Robert Beaudoin, dans la maison qu'il a habilement «bricolée» au fil des années au lac Sir John, non loin de Lachute. Il donne le ton à nos rencontres: une longue session sinologique, puis une vivifiante session gastronomique. Ma modeste bière Tsingtao (qu'en penserait un des fils de Barbara?) produit un certain effet, mais n'arrive pas à la cheville gauche du Château de la Lieu (que Robert a personnellement visité en Provence). Sa tendre moitié, Barbara Finch, originaire de la Colombie Britannique (impossible à deviner à cause de son excellent français), est une grande sportive. Elle en fait son gagne-pain sur les pentes de ski et les verts de golf.

Des élèves stimulants

Sino-passionné, le défi de parler de la Chine m'excite! J'y vais à fond les ballons en l'honneur de mon vieux pote du pavillon De Koninck. Se rendant bien compte de mon excès de zèle, un moment donné, il me lance au téléphone: «Cou' donc, t'attends-tu à être payé pour ça?» Ben non, ben non!

La Bande des cinq est stimulante. Tous les clignotants sont au rouge! Francine Brodeur et Robert Guay, l'autre couple (bien) reconstitué, deux ex-enseignants,  ont un horaire troué comme du gruyère parce qu'ils voyagent beaucoup. Une carte d'embarquement n’attend pas l'autre. Je sympathise aussi avec ce Robert parce qu'il s'occupe activement de ses trois petits enfants. Un point en commun. Inquisiteur de l'ailleurs, c'est le papy qui pose le plus de questions pendant mes exposés. Le canard de Pékin. Le dalaï-lama. Tout y passe. (Rien à comparer avec les étudiants d'éminents professeurs de HEC et de Polytechnique qui semblent tout gober en classe sans jamais lever un doigt dubitatif.)

Je n'y vais donc pas avec le coude mou en leur assénant l'essentiel des trois philosophies et des éléments concrets de la vie politique et économique. Les mots-clés du mandarin comme xiexie. Quelques photocopies de mes résumés synthèses. Robert Guay ne semble pas d'accord avec mes vues sur le chef spirituel des Tibétains (celui que Rupert Murdoch qualifie de «vieux moine politique se trimbalant en Gucci»), mais ça ne mène pas à l'algarade. Barbara se procure très tôt le costaud Lonely Planet et je vois que la motivation du groupe dépasse les sommets. Je suis même impressionné par la présence de Jules Painchaud qui «descend» chaque fois de Québec pour nos formations-dégustations. Viscéralement accro à l'internet, l'ex-commis d'État est discret, mais il creuse la matière à sa façon avec des cartes et des interrogations sur la Révolution culturelle.

Autre session, dans le fief bucolique de Barbara, nous trouvons là aussi une magnifique datcha sise sur le bord d'un lac non loin de Saint-Sauveur. Je les préviens de la réputation de «plus beau lac sur ce bas monde» que possède le lac de l'Ouest à Hangzhou. Faut un sacré lac pour impressionner des Québécois! Sur un autre plan d'eau, l'enthousiaste Barbara rivalise avec Robert et Robert pour nous gâter avec ses plats fins. Un mélange gagnant! Malheureusement, rendus à la table, ce n'est plus tellement le moment de parler de la Terre sainte de la révolution maoïste. C'est ainsi, un jour, que je rate l'occasion de disserter sur les cinq dernières dynasties de l'Empire céleste. Monsieur Guay m'avouera plus tard que c'est «son point faible» dans le sens qu'il n'a pas parfaitement bien pigé cette chronologie. Le même samedi soir, on ne peut pas bien digérer et bien dynastier.

Dans l'espoir de mieux les faire pénétrer dans la moelle chinoise, je leur prépare deux rendez-vous à Pékin, mais ni l'une ni l'autre n'aura lieu. Zut! La première avec l'avocat Pierre Saint-Louis en utilisant comme subterfuge la livraison (merci Barbara) d'un Tintin à sa fille de 9 ans, Isabelle. Malheureusement, le coquin prend l'avion pour le Shandong et il n'y aura pas de rencontre de la «Ligue du sirop d'érable en Asie». Sacré Tintin! La rencontre avec le journaliste Éric Meyer n'aura pas lieu non plus, mais Barbara contribuera généreusement à son projet de livre sur le Tibet. Merci Tintin!

Le 10 novembre, je reçois une première infolettre du coeur même de l'Empire:

«Bonjour Jules,
Je suis présentement dans ma chambre d'hôtel à Hangzhou. Francine, Barbara, Jules et Claude sont partis souper au resto. Ils en avaient marre des repas style chinois. Ils se paient un petit repas américain, je crois. Nous faisons un magnifique voyage. Tout se déroule très rondement et les guides sont ... très jolies et... intéressantes.
La Chine est encore plus que tout ce que j'avais pu imaginer... et on en voit si peu.
Nous n'avons pas vu le soleil depuis notre arrivée, mais ce n'est pas grave, car tout est si beau ici. Nous aimerions bien que tu sois avec nous pour partager ce magnifique voyage. Nous essaierons de t'envoyer une ou deux photos dès que nous le pourrons.
Mes coups de coeur à date: Xi'an, la Grande Muraille, la rivière Li et sa région, les gens si sympathiques, les chants et toutes les activités du peuple dans les parcs... et j'en passe. Je raffole.

Amitiés,
(signé) Robert (Guay) 

P.S. Pourrais-tu essayer de demander à Transasie les coordonnées de notre guide de Xi'an, Sandrine, et de me les faire parvenir bien entendu ... j'ai vécu une belle aventure avec elle (ne pas fabuler ici), que je prendrai plaisir à te raconter dès mon retour.

Je suis aux petits oiseaux. Je transmets la bonne nouvelle au vieil ami Pierre Saint-Louis -- qui a bien dû prendre trois semaines avant de me confirmer que sa grande fille avait bel et bien reçu le Tintin et le Québec d'Yves Demers (que j'ai entre temps pu saluer en personne au Salon du livre de la place Bonaventure). Toujours critique envers son pays d'adoption où il survit depuis plus de 30 ans, mon camarade pékinois-montréalais réplique par une boutade sur sa Chine gros rouge: «Si y sont si contents, c'est qui ont rien vu.» Hahaha!

Le 9 décembre, je rapporte à Olivier Wang:

Hier, j'ai passé plusieurs heures avec mes amis du groupe de Robert Beaudoin chez Robert Guay. C'était notre première rencontre après leur retour de Chine. Tous ont été unanimes à me dire qu'ils ont fait un merveilleux voyage avec Transasie. Grâce à mon expérience d'accompagnateur, je leur ai posé plusieurs questions sur les hôtels, les repas, les guides, les transports, les visites et l'organisation en général. Dans les détails et à chaque sujet, ils m'ont exprimé leur vive satisfaction. 

J'ai vu une petite partie de leurs photos et vidéos. Ils se souviennent parfaitement bien de tous leurs guides dans les différentes villes. C'est bon signe. Ils vont essayer de les remercier par courriel si possible. (Ils cherchent encore l'adresse de Sandrine à Xian.)

Le seul commentaire concernant les choses à améliorer est celui-ci: trop de choses à faire, à voir et à assimiler. Ils auraient aimé passer plus de temps dans un ou l'autre des endroits pour approfondir, pour mieux sentir l'odeur des choses. Par exemple, pour la magnifique maison de la famille Chen à Canton, ils ont dû courir en fin d'après-midi pour entrer juste avant la fermeture, une course folle, mais après coup, ils ont dit: ça valait vraiment la peine... L'autre point, mais on n'y peut rien, c'est la pollution dans la plupart des endroits. Pas la faute de Transasie!

Un gros point d'interrogation soulevé très tôt par Jules: «Comment Transasie peut-il organiser ce 22 jours pour seulement 3 300 $? (200 $ de pourboires en sus.) Est-ce subventionné par le gouvernement chinois?» À notre dernière messe, dans le chic Rosemère, j'enquête. Sans un poil de différence, toutes les explications individuelles allaient dans le même sens. Ont-ils rogné sur la qualité des hôtels? Impossible! «Toujours des 4 ou des 5 étoiles!» Les nourritures terrestres de l'authentique général Tao? Non, «c'était délicieux» (et je sais qu'ils s'y connaissent en bonne bouffetance). Bon, quoi encore? Les avions et les trains? «Impeccables!» Puisqu'il n'y avait que des «guides locaux» ni de «guide national» ni d'accompagnateur d'ici, c'est là que l'agence a coupé? Quand on m'énumère les noms des guides, c'est que le service a été complètement nickel: « Rosalie, Leah, Sandrine à Xian, le vénérable Georges immortalisé dans le Routard, Léo à Beijing, Leah sur la rivière Li, Chow Chi à Shanghai, Rosalie à Wuhan, George à Chongqing», m'a précisé la fille des Rocheuses canadiennes. Il est donc possible d'aller au pays des litchis pour des prunes!

Personne n'a été malade

Pour revenir aux diverses agences, mes souvenirs des Voyages Jade (rue Clark) sont trop lointains pour en donner une bonne appréciation. On me dit que Wonder Travel et Sinorama se font une guerre de prix? Deux couples que j'ai amenés il y a trois ans à cette dernière agence (maintenant installée dans d'immenses locaux spacieux du nouvel édifice Swatow, rue Saint-Laurent) ont été très satisfaits du prix des billets d'avion (sans excursions). Malheureusement, le coordonnateur qui m'a demandé de partir comme accompagnateur nous a définitivement quittés il y a quelques années. Gérard Cachat, né à Sfax (Tunisie) et diplômé de Bordeaux était le gars le plus méticuleux qui existe pour préparer ces circuits. Uniquement pour les pourboires, il me remettait une grille détaillée, histoire de ne pas oublier le moindre bagagiste. Du travail d'artisan! Mes amis et voisins Judith et Jean-Guy Legros ont ainsi voyagé l'esprit tranquille en 2001.

Transasie m'a fait bonne impression dès le début. À la rencontre du 20 octobre, en l'absence d'Olivier Wang, ce fut au tour d'Amanda Wang Meng (王萌)de donner le dernier laïus. Cette jeune chinoise de Nanjing, au français également admirable, m'a vite fait la preuve que l'agence tient à offrir le meilleur service possible. Franche elle aussi, elle n'a pas essayé de promettre mers et mondes dans un immense pays où la perfection n'est pas monnaie courante.

Le «père adoptif», comme la Bande des cinq m'a qualifié, a aussi apprécié le fait que personne ne se soit blessé ni ait été malade. Même pas de petite grippe à la suite de l'ascension de la glaciale Grande muraille ni de la traversée de la vaste Cité interdite. Bref, tout du monde qui se garde en grande forme. Je vois mal un compatriote se fouler une cheville en clopinant sur la Grande muraille. Autre bon point, digne de mention, dans la brigade d'une quinzaine de touristes, il n'y a pas eu un seul «fatigant» qui a fait poil à gratter, genre retardataire incorrigible, magasineux compulsif ou individualiste à tout crin. Dans un voyage de groupe avec des devis de groupe, faut se fondre dans le groupe.

Je viens tout juste de recevoir 1,3 milliard de photos sur CD. Je vais savourer ça à petites gorgées en pensant aux trente villes que je connais. En attendant, en échange de toute l'admiration que je leur ai transmise au sujet du superbe Musée de Shanghai, j'ai reçu en cadeau un tout aussi superbe album illustré de ce haut lieu de culture. Les «Trésors de la collection du Musée de Shanghai» en édition de luxe me font saliver. Les bronzes, les jades, la calligraphie. J'ai reçu en même temps une belle carte dessinée par une jeune élève chinoise d'ici, Yu Ying, qui proclame: «la Chine est un beau pays». Quoi de plus touchant pour accompagner les bons mots de mes cinq baroudeurs. Pendant que j'écris ces lignes, Robert Beaudoin m'écrit d'un point chaud de la planète: « J'ai maintenant un domicile aux USA avec une chambre d'invité...ça me ferait plaisir de te ramasser à l'aéroport de Tampa.» On verra! comme dirait l'autre.