jeudi, juin 30, 2011

Canard de Pékin: le bon, la bête et le truand




Mon premier face à face avec l’aristocrate canard de Pékin remonte à 1975 à ma première incursion en Chine rouge. Notre groupe de Québécois formait une délégation de l’Association d’amitié Canada-Chine et, malgré une Révolution culturelle essoufflée -- qui sévissait encore pour un an -- une expédition gastronomique faisait partie du «plan». Il ne devait exister que deux établissements spécialisés dans le canard de Pékin à cette époque révolutionnaire lorsque les Gardes rouges venaient de «bombarder» tous les QG de la bourgeoisie.

«Tu t’assoiras à côté de l’ambassadeur Chai Zemin, afin de bavarder avec lui pendant le souper», m’avait demandé le Dr. Denis Lazure, secrétaire général de notre allègre délégation -- plus tard ministre péquiste de la Santé. Le journaliste chevronné Jean Paré était aussi de la partie. Malheureusement pour moi, le l’illustre patron de l’Association avait un tel accent (du Shanxi) que je n’ai à peu près rien compris pendant tout le repas. Le diplomate chevronné (qui avait déjà été en poste dans trois chancelleries dont l’Égypte) me ravitaillait en canard et c’était là déjà beaucoup «d’amitié» entre nous deux. Youyi! Ce n’est que plus tard que j’ai appris que le bienveillant sexagénaire avait été nommé ambassadeur de la première représentation de Pékin à Washington. Henry Kissinger en parle dans son récent livre On China.

Menu pour collectionneurs?

Le modeste établissement était situé en plein coeur de la capitale. D’après mon antique guide Nagel (1973), sur Shuaifuyuan, petite rue perpendiculaire à la grande artère commerciale Wangfujing. Aucune enseigne à l’extérieur comme pour éviter d’attirer l’attention des jeunes maoïstes. «Décor sans apprêt», précise Nagel. Le menu ronéotypé en lettres bleues sur un talon de papier blanc énumérait les huit plats de canard alors offerts. Toute l’anatomie y passait. Je n’ai jamais été capable de retrouver l’intégrale de ce festin si raffiné dont l’origine remonte à la dynastie Ming. Les empereurs en raffolaient. Chai Zemin aussi.

Quelqu’un me disait récemment avec beaucoup de sérieux que je devrais mettre en vente à l’encan mon menu de 1975 sur la toile chinoise pour en retirer une bonne somme de renminbi. La même personne ajoute que tout est «money money» maintenant dan son pays, en avertissant qu’«il n’y a pas de morale». J’y réfléchis.

Par la suite, au cours de plusieurs excursions touristiques – moins révolutionnaires – le canard de Pékin s’est démocratisé et le nombre de restaurants portant ce nom s’est multiplié. Même des chaînes de restaurants. Après quelques expériences malheureuses où mes compatriotes se sont faits servir de la «viande plutôt graisseuse», j’ai commencé à exiger que ces repas aient obligatoirement lieu dans le restaurant dit Quanjude (Réunion de toutes les vertus) dont la fondation remonte à 1864. Les chefs d’État de plusieurs pays (photos à l’appui) y ont dégusté la petite bête à plumes et, malgré ses quatre étages la qualité est au rendez-vous. L’ambiance est à la fête avec beaucoup de bruit dans les salles de banquet pouvant accueillir 800 personnes. Pour les intimes : 18 salons privés.

Canard de hutong pour initiés

Lors d’un voyage d’affaires en 2005, j’ai proposé de réunir quelques camarades dans un Canard de Pékin, histoire de joindre l’utile à l’agréable. Entre temps, le journaliste Éric Meyer est tactiquement intervenu pour nous proposer sa rôtisserie favorite, le Liqun. «N’allez pas dans une trappe à touristes», m’écrivit-il. Sa merveilleuse idée c’était une construction rudimentaire (promise à la démolition) dans une hutong (ruelle), près de Qianmendong dajie, où les chauffeurs de taxi ne pouvaient pas entrer. Il fallait autant de temps pour trouver la place que de manger le canard. Réservé aux initiés pékinois, bien que le Lonely Planet l’avait bel et bien repéré. Zéro étoile pour les décors. De style Schwartz pour le smoked meat à Montréal. Mais dans un salon privé avec plafond bas.

Ce fut le deuxième meilleur canard laqué de ma vie. Inoubliable! J’ai croqué pour la postérité le sympathique groupe réuni à notre grande table. À ma gauche, Éric Meyer que je rencontrais pour la première fois m’accapara pendant tout le repas. Pas grave : conversation stimulante! Il y avait aussi Jean Marchand, le plus talentueux interprète québécois. Gervais Lavoie, l’anthropologue devenu homme d’affaires. Pierre Saint-Louis, avocat spécialisé en immigration. Francis Acquarone, un Québécois devenu presque chinois depuis le temps. Wang Weiwei, l’amie taiwanaise de ma cadette Émilie. Mon complice Sylvain Leblanc qui en était au milieu de son séjour de neuf ans en Chine. J’organisais ce repas de la Ligue du sirop d’érable en Asie (sic) pour le plaisir de la super-efficace Élisabeth Vassallucci, vice-présidente Communications d’Alcan, et son mari gourmet Mark Gingras, adepte des arts martiaux.

Selon le Canard enchaîné, foi du charbonnier, Al Gore, Valéry Giscard d’Estaing et Pierre Bourque étaient aussi passés à ce Liqun du prolétaire. La grande différence : nous avions quelques canettes de pur sirop d’érable pour la joyeuse occasion. Les agapes à peine terminées, un employé en blanc-gris vint nous dire que nous devions céder notre cubicule à un autre groupe de noceurs. Pas question de s’y attarder. Au moment de payer la douloureuse, je tendis à bout de bras la facture à Élisabeth, mais André Halley, venu de Shanghai, esquissa un geste rapide de kungfu et s’empara du bout de papier idéogrammé. La facture était ridiculement bon marché. Moins de cent dollars canadiens pour onze VIP, si je me souviens bien. Quelques jours plus tard, lorsqu’Élisabeth fut invitée par ses collègues de l’aluminium, le canard ne fut pas meilleur.

Mes derniers canards de Pékin ont été des canards de Montréal. Un moment donné, l’entreprise bien connue du lac Brome (Knowlton) voulait resserrer ses relations d’affaires avec la communauté chinoise qui représentait déjà une clientèle loyale. Un consultant en alimentation que ma fille Émilie connaissait me confia donc un contrat : aider à préparer un plan de marketing. Je lui proposai de trouver le meilleur canard de Pékin à Montréal afin de s’en servir pour publiciser le célèbre plat. État donné que les canards du lac proviennent de Chine (1912) pourquoi ne pas mousser cette prestigieuse tradition?

Malheureusement, en dépit de nos introspections aux meilleures tables chinoises et de nos commandes précises, nous avons dû nous contenter de canards à la cantonaise. L’artiste multitalents et multidisciplinaire Lew Yung-chien (Liu Rongqian) était bien d’accord avec moi. Pas mauvais, mais rien s’approchant de l’authentique spécialité de la capitale.

La peau croustillante

Ironiquement, le premier prix de ma recherche alla au restaurant Shanghai du 2028 rue Saint-Denis -- maintenant reconverti en maison japonaise sous le nom de Vent d’Osaka. Ce fut une surprise car Luba, l’aimable propriétaire du Shanghai est une Chinoise née dans le Kazakhstan avec des atomes crochus slaves. Le personnel parle le russe comme le chinois, sans compter un français impeccable chez Luba et son accueillant mari Liu Weiqi.

«C’est quoi ça?» Mon ami Robert et son groupe, actuellement en préparation d’un voyage prochain dans le pays de la soie me demandent d’éclaircir le mystère du canard laqué.

Pour toi Robert, j’emprunte in extenso l’explication qu’en donne le savant Guide bleu. «Le canard est d’abord engraissé au maïs, à l’orge et au soja. À l’aide d’un petit tube de caoutchouc, on souffle à hauteur du cou pour détacher la peau des chairs en pinçant à l’arrière. Il est ensuite suspendu et ébouillanté par aspersion avec une eau parfumée au gingembre, séché, puis badigeonné avec une sauce composée de miel, de vin de riz, de sauce de soja et d’eau chaude. Enfin, il est rôti dans un four à bois alimenté par cinq sortes d’arbres fruitiers. On sert d’abord sa peau croustillante et ses lamelles de viande accompagnées de ciboule hachée, d’une sauce épaisse au soja, et on déguste le tout roulé dans de petites crêpes.» 

Reste quand même, mon cher Robert, qu’avant de marcher dans les traces de Marco Polo en novembre prochain, tu pourras savourer la chair tendre de ce bipède ici même. Peut-être pas celui de Pékin, mais un demi-canard ou un complet que tu peux acheter dans le Quartier chinois. Rôti à la cantonaise. Peu importe la peau, la chair est délicieuse. Seul petit hic, il se peut qu’il manque une patte à l’animal. Pas de morale! Comme disent les Amerlos, «c’est avec des cennes noires qu’on fait des piastres».

mardi, juin 28, 2011

Le diplomate Henry Kissinger, sinologue de 88 ans

Le président Jiang Zemin bavarde avec Henry Kissinger


À l’âge vénérable de 88 ans (chiffre chanceux), Henry Kissinger vient de commettre une excellente étude sur la diplomatie et la stratégie chinoise. Une livre qui fera époque à cause du rôle unique de ce diplomate de carrière qui fut le négociateur  pour le président Nixon, d’où sa connaissance directe de la vision du monde des leaders chinois. Acteur de premier plan! Cinquante voyages en Chine! Henry Kissinger a aussi su se faire aider d’une équipe de rédaction lui permettant de mieux présenter l’histoire contemporaine du géant chinois. Le mot à mot de ses conversations à Pékin confère autorité au livre de presque 600 pages.

Dans les premiers chapitres, en guise d’introduction, Henry Kissinger réexamine la diplomatie de la fin de la dynastie Qing (Mandchous) dans leurs conflits avec les  puissances étrangères. Cette période est mieux connue et on y retrouve des éléments connus comme le kowtow (génuflexion) que l’empereur exigeait et le concept de l’Empire du milieu en relation avec les états tributaires. Petite révision indispensable pour comprendre la suite de l’histoire.

De Varsovie à Pékin

Le roman policier commence ensuite avec le premier voyage ultrasecret qu’Henry Kissinger a effectué vers Pékin pour préparer la réconciliation américano-soviétique. Il n’y avait pas eu de tel contact direct à haut niveau en 20 ans. Seulement l’étape précédente de 130 rondes de conversation à Varsovie au niveau des ambassadeurs. L’objectif était de préparer un face à face entre un Mao Zedong vieillissant et un Richard Nixon pourtant reconnu pour son anticommunisme.

Était-ce connu? Pendant que les dirigeants américains décidaient de se rapprocher du régime chinois, Mao Zedong et Zhou Enlai décidaient d’en faire autant afin de se protéger de la menace de l’Union soviétique. Jouer la carte américaine. Quatre généraux (condamnés aux travaux manuels) suggérèrent ce grand virage diplomatique. L’un d’eux se servit de l’histoire du Roman des trois royaumes (livre alors banni) pour mieux faire passer leur audacieuse recommandation au Grand timonier. Une «inspiration stratégique» provenant des «ancêtres». Cette populaire saga dont l’action se situe à la fin des Han (3e siècle) a été écrite à l’époque Ming (14e siècle). (John Woo en a récemment tiré le film Red Cliff.)

Henry Kissinger en profite pour expliquer que les Chinois vivent en symbiose avec leur histoire. Ce qui s’est passé quelques dynasties plus tôt est présent à l’esprit comme si ça s’était passé hier. Pour expliquer son expédition militaire contre l’Inde en 1962, le président Mao Zedong a invoqué deux guerres survenues l’une 1 300 ans plus tôt (Tang) et l’autre 700 ans plus tard (Yuan). Au Premier ministre Alexeï Kossyguine, il parlait de mener une lutte idéologique pouvant durer jusqu’à 10 000 ans contre les révisionnistes soviétiques -- avec une tranche de mille ans pouvant être soustraite grâce à une généreuse «concession» du président. Une perception du temps totalement différente de celle que nous avons en Occident. «La Chine est unique.»

Le jeu de go

Henry Kissinger revient souvent sur la notion de l’encerclement tout en évoquant le  jeu de weiqi (le go) qui s’apparente à la guerre de territoires. Un jeu vieux de 3 000 ans -- qui n’est apparu en Occident que très tardivement. C’était la hantise du régime de Pékin de se faire «stratégiquement encercler» du temps de l’Union soviétique et de la guerre froide. Dès la page 24, premier chapitre, sur la «singularité de la Chine», apparaît un croquis de l’échiquier de ce jeu avec ses 361 intersections. À la page suivante, c’est au tour du célèbre stratège Sun Zi de faire son entrée dans l’explication à la Kissinger de la Realpolitik de la Chine. De bonnes pages en interculturel.

Un chapitre que j’ai lu attentivement est celui qui examine la «diplomatie triangulaire» en rapport avec la guerre de Corée. (Je le recommande à mon bon ami écrivain Ook CHUNG.) Je sais qu’il existe différentes versions des faits d’après mes conversations avec des amis chinois de Pékin. Exactement qui a déclenché les hostilités? L’intervention de l ‘armée chinoise? Les tractations du grand leader Kim Il-sung avec Joseph Staline et Mao Zedong? Je n’essaierai pas résumer ici ce 5e chapitre, mais j’imagine que les spécialistes de la Corée y trouveront des observations intéressantes.

Qui de mieux placé que le secrétaire d’État de Richard Nixon pour tracer un portrait du Grand timonier et du suave mandarin Zhou Enlai? Le premier était le «roi-philosophe» évoluant dans les «hauteurs olympiennes» et s’exprimant en paraboles, tandis que le second pratiquait un «élégant professionnalisme». Par contre, le contraste était extraordinaire avec l’«indestructible» Deng Xiaoping qui s’attachait à l’«éminemment pratique», «dédaignait la philosophie» et ravitaillait le crachoir pendant les réunions. Par la suite, l’ex-numéro un de Shanghai, Jiang Zemin, «souriait, riait, racontait des anecdotes et touchait ses interlocuteurs pour créer un lien» tout en étalant ses rudiments de langues étrangères.

Toujours d’après l’auteur du livre tout simplement intitulé On China, (pas encore de traduction française), il ne faut jamais oublier une importante constante dans tout rapport avec les dirigeants chinois. Leur pays a subi un «siècle d’humiliation» aux mains des puissances étrangères et ils n’acceptent plus d’être traités de la sorte ni de se faire dire quoi faire. Toute pression étrangère est immédiatement rejetée. Surtout en matière de droits de la personne.

L’obstacle de Taiwan

La fierté du conseiller très écouté de plusieurs chefs de la Maison blanche c’est d’avoir été capable d’élaborer, du temps de Nixon, un cadre de référence général (framework) à partir duquel les deux gouvernements pouvaient trouver des solutions à des problèmes particuliers. Cette vision d’ensemble était plus facile à définir à une époque où tout partait de zéro. Tabula rasa! Kissinger essaie de se mettre à la place des leaders chinois pour expliquer leur approche. Les citations deviennent très utiles.

La grande pierre d’achoppement dans toutes ces années de délicate diplomatie bilatérale demeure le problème de Taiwan. Le communiqué de Shanghai de 1972 n’a pas suffi à régler le grand casse-tête opposant Washington à Pékin. Les crises ont été nombreuses.

Cette longue fresque historique, Kissinger la conclut en proposant de façon positive et visionnaire une «communauté du Pacifique». Une invitation à «bâtir» l’avenir ensemble!  À cette noble fin, ne pas se laisser freiner sur les contradictions à court terme, mais développer des mécanismes de vision à long terme ainsi qu’un «dialogue permanent».

Tout en passant à travers cette brique diplomatique, j’ai visionné à quelques reprises l’excellente entrevue d’une cinquantaine de minutes que Kissinger a donnée à Charlie Rose (30 mai 2011). Le journaliste de PBS  lui laisse le temps de répondre à toutes ses questions. L’entrevue menée par le Orville Schell (15 juin) que l’on peut voir sur la toile de l’Asia Society (New York) est moins bien réussie. Un moment donné, le professeur Schell demande à l’octogénaire aux cheveux blancs de résumer son volumineux ouvrage et celui-ci rétorque qu’il ne peut pas le faire en seulement une phrase. Ni deux.

Je ressens la même difficulté à essayer de bien résumer l’essentiel en mille mots. Bref, je vous invite plutôt à lire le livre. Pas toujours une lecture facile chez cet auteur d’une douzaine d’autre titres avec ses termes savants et ses longues phrases. Beaucoup de noms chinois aussi. Pas facile la Chine!

jeudi, juin 02, 2011

MBAM: revoir les guerriers de Qin et bien davantage

(Photos: gracieuseté du Musée des beaux arts de Montréal)

Les navigateurs portugais ont découvert la route maritime vers la Chine. C’est maintenant au tour de la Chine impériale de venir se faire redécouvrir par les Portugais. Au Musée des beaux-arts (MBAM), rue Sherbrooke. La dernière fois pour une telle fête des yeux c’était en 1986. À ne pas rater! L’exposition se terminera le 26 juin, mais faites vite pour éviter la cohue des retardataires. Après Toronto et Montréal, les 240 trésors (de 16 musées) rebroussent chemin vers la Chine. Rien à Calgary ni à Victoria.

La découverte fortuite des 8 000 guerriers de terre cuite a stupéfait le monde entier à partir de 1974. La plus grande révélation (par étapes) du dernier siècle – même en comparaison avec Toutânkhamon (1922). L’empereur Qin, génial et destructeur, qui commanda cette armée funéraire n’a pas fini de faire parler de son règne car sa mystérieuse tombe reste encore à être explorée. Folie des grandeurs! Suspense historique de 2 200 ans dont la magnificence dépasse l’imagination.

Avant-gardiste pour l’époque

La fiche technique de ces colosses de 2 m de 270 kg? Leur fabrication nécessita une petite armée d’artisans usant de génie pendant une dizaine d’années selon des techniques révolutionnaires pour l’époque. Par reconnaissance faciale, un scientifique néozélandais confirme que les gardes funéraires sont tous différents les uns des autres. Sans compter la distinction entre fonctionnaires, officiers, fantassins et archers. Y compris les chevaux.

Malheureusement, les couleurs vives en surface ont rapidement disparu dès l’excavation. Vous pourrez toutefois voir des pigments rouges (photo) sur l’arbalétrier agenouillé (cage transparente). Tous les autres personnages sont visibles de très près sans aucune entrave vitrée. Ce qui n’est pas le cas dans les musées en Chine. Aussi, plus près des yeux que dans le vaste hangar muséal de Xi’an.

Évitez les embouteillages! Je conseille de choisir une journée de semaine (fermé le lundi) plutôt qu’en fin de semaine. Surpeuplé aussi le mercredi après 17 heures à cause du prix réduit. Interdit de photographier. Prévoir trois bonnes heures pour tout voir et en jouir. Le petit livre rouge de l’archéologue CHEN Shen (seulement 5 $, à la boutique) mérite d’être parcouru avant ou pendant la visite. Sinon l’audioguide. Les documentaires, tous très courts, fournissent de bonnes pauses. (Banquettes disponibles pour reposer votre dos.) Remarquez l’enthousiasme vraiment juvénile du prof. Robin Yates, grand sinologue de l’Université McGill. (Pour mieux recharger la batterie mentale, café et repas légers à la cafétéria.)

Troisième du genre au Québec

Rappel historique dont je garde un souvenir inoubliable -- coup de maître de Jean Drapeau -- Montréal a accueilli les premiers chefs d’œuvre de terre cuite en 1986 au Palais de la civilisation. Officier, guerriers et chevaux. À l’époque du maire Jean-Paul L’Allier, cinq guerriers de l’empereur Qin ont déjà été exposés au Musée de la civilisation de Québec pendant neuf mois (2001-02). Total de 130 artefacts. Sans archer à genoux ni de cheval toutefois (au grand regret de Robin Yates). Sans catalogue non plus.

Avec l’arrivée au MBAM de madame Laura Vigo au poste de conservatrice de l’art asiatique, on peut s’attendre à d’autres manifestations culturelles sur la même région. (Nos modestes collections asiatiques sont mal connues). La jeune archéologue, polyglotte, docteure du London School of Oriental and  African Studies, est familière avec les grands musées. Elle a notamment enquêté sur les missionnaires salésiens en Inde. En entrevue avec LusoPresse, la nouvelle conservatrice, qui a déjà donné moult et moult entrevues, se montre enthousiaste et rieuse. (Après deux heures de conversation, nous rêvons d’aller voir, un de ces jours, les authentiques bronzes d’André Desmarais chez Power Corp.) Saluons au passage les sinologues italiens comme Laura Vigo qui, comme les Portugais, nous ont permis d’approcher l’univers chinois.

Non moins fervente ni moins loquace, l’attachée de presse Catherine Guex insiste sur la magnifique présentation de l’exposition qui en a surpris plusieurs. Le Cirque du soleil y a travaillé. Vous verrez que des rangées de statuettes (photo) et ailleurs des animaux dans des cages multiformes font un bel effet. L’éclairage tamisé rehausse la valeur de la statuaire. Une salle consacrée à l’art de l’arbalète brille par la couleur. Les grands miroirs sont stratégiquement placés.

Un empereur peut en cacher d’autres

«Le MBAM vous montre beaucoup plus que la dynastie Qin.» (Autre bonne raison de jouer au navigateur sur la grande toile avant d’attaquer. L’information y est abondante.) Sur une douzaine de salles, les quatre premières couvrent des dynasties précédant l’empereur mégalomane. Mes coups de cœur? Les deux bronzes de la salle d’entrée. Admirer avec lenteur. D’autres bronzes plus petits, dont une délicate cloche et des vases à vin, complètent la série avec bonheur. Deux figurines miniatures de cavaliers. Le disque de jade (bi en chinois) témoigne du grand amour des Chinois pour ce noble matériaux.

Après les trois salles Qin, place à l’après-Qin, c’est-à-dire les réalisations des Fils du ciel de la dynastie Han. Moins connues! L’empereur rebelle Gaozu s’entoure d’une armée de fantassins et de cavaliers. De ces derniers, vous en verrez 25 en rangées disciplinées. L’empereur Jing a recours aux mêmes gardiens funéraires. Un eunuque (détails anatomiques) en terre cuite est le premier connu du genre. Dans la même salle, vous partagerez mon coup de cœur pour la danseuse, les domestiques et le sage mandarin. Et un dernier coup de chapeau à l’empereur pacifique pour la ménagerie d’une vingtaine d’animaux domestiques : chiens, moutons, porcs, coq et poule.

Enfin, après ces 240 trésors, je suis descendu au sous-sol pour visionner de l’art contemporain chinois. Rarement vu à Montréal, sauf à la galerie Art Mûr de la rue St-Hubert. Le policier en Sept cadres de Ai Weiwei (toujours emprisonné malgré un tollé international) m’a permis de voir un original du dissident, même si l’œuvre n’en révèle pas beaucoup sur cette prodigieuse machine créatrice. Par contre, j’ai eu un faible pour les photographies de l’architecte Chen Jiagang.